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En finir avec l’écriture inclusive

Avec ou sans la langue


En finir avec l’écriture inclusive
Jean Szlamowicz. DR.

Jean Szlamowicz veut en finir avec l’écriture inclusive. Contre les assauts woke qui écornent le français, son nouvel essai prouve que c’est une ineptie de confondre la langue et le sexe, le genre des mots et le sexe des gens. Une démonstration magistrale et définitive.


Le Sexe et la Langue. Sous ce titre délicieusement facétieux, le linguiste Jean Szlamowicz règle magistralement son compte à l’écriture inclusive et aux métastases grammaticales du militantisme néoféministe. Opposant une belle (et rare) rigueur intellectuelle aux niaiseries mi-doloristes mi-hargneuses des damnés de la grammaire, ce spécialiste d’analyse rhétorique passe au crible le discours de celles-et-ceux pour qui les pires humiliations sont à chercher du côté d’une langue française odieusement masculiniste, à réformer d’urgence pour que la vie soit plus belle. Pour toustes.

Féminisation au forceps

Devant les théories fantaisistes de néomasochistes « prêts à s’inventer un adversaire pour continuer d’être féministes », l’auteur remet à sa place toute une « clique de coupeurs de langue » qui « se rêvent maquisards […] au fond de leur blog », et rappelle l’essentiel : la langue est une combinatoire de signes arbitraires, elle ne représente rien ni personne, elle est l’outil de la pensée et non pas son contenu. « Il ne faut pas confondre la langue et le sexe, le genre des mots et le sexe des gens. » Les points médians et les « e » muets, censés féminiser au forceps une langue si phallocrate, sont avant tout des absurdités linguistiques. Vouloir féminiser la langue par-delà l’usage – « cheffe », « professeure », « chauffeuse de bus », « autrice » – est grotesque avant même d’être idéologique. Si l’on suit le raisonnement fallacieux consistant à dire que les mots sont les miroirs des choses et le reflet des phénomènes, que l’absence de féminin pour « médecin  » est bien la preuve de la « minoration » sociale des femmes, on en vient à se demander de quel droit le mot « train », avec si peu de lettres, peut prétendre désigner une locomotive avec tous ses wagons, pourquoi le mot « oiseau » s’emploie pour un moineau autant que pour un condor des Andes, sous l’effet de quelles manigances complotistes le mot « microscopique » est à ce point visible à l’œil nu et, finalement, pourquoi le mot « invisibilisation » n’a rien d’invisible. Avouons toutefois que sur ce dernier point, on gagnerait à confondre les mots et les choses.

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Face à une ribambelle de pseudo-linguistes atterrants, désireux de libérer notre langue de carcans imaginaires qu’ils rêvent par tous les biais d’objectiver afin de leur opposer des actes de résistance admirables, Jean Szlamowicz énonce avec érudition et humour des vérités qui fâchent. Non, le genre, en grammaire, n’est pas un marquage d’opposition sexuelle, mais d’opposition tout court, le masculin et le féminin servant à créer des nuances et des différences (galet/galette, herbe/herbage, moteur/motorisation, médecin/médecine…) et non à sexuer la langue : un radiateur n’a rien de masculin, pas plus qu’une fenêtre n’a quelque chose de féminin. Oui, comme dans la majorité des langues, le masculin est généralisant et a une valeur de neutre : on va chez le coiffeur même si la personne qui s’occupe de nous est une coiffeuse. Le jarawara (Amazonie) est, nous apprend-il, l’une des rares langues où le féminin a une valeur générique, mais la coutume de frapper les jeunes filles nubiles à coups de bâton n’est peut-être pas un fait social à la hauteur de ce féminisme grammatical abouti. Non, la « langue » n’est pas du « discours » : une phrase (plutôt très) misogyne telle que « les femmes doivent rester à la maison » ne présente aucun fait grammatical « répréhensible ».Pour finir, oui, la langue est nécessairement « à la traîne », accusée qu’elle est par le progressexisme de ne pas adopter assez vite des néologismes et des tournures qui – voyons ! – tombent sous le sens :il.elle pleut, je ne vais pas chez le coiffeur.euse. Quoiqu’on parle souvent de ce qui n’a pas de réalité tangible (discours), il faut tout de même que les choses existent pour pouvoir les nommer (langue) : qu’il y ait, par exemple, suffisamment d’hommes sages-femmes pour que « sage-homme » s’impose, au-delà de la leçon de grammaire nunuche dispensée par un navet cinématographique à visée sociétale (Sage-Homme, Jennifer Devoldère, 2023).

Réponse cinglante

La réponse de Jean Szlamowicz aux indignations du militantisme inclusiviste est merveilleusement cinglante, et on ne peut mieux dire : « Les injustices existent, mais ailleurs que dans la grammaire […] et quand on est friand de subtilités symboliques, on devrait être capable de se poser la question de savoir s’il y a plus d’oppression à vivre sous un voile ou à accorder le suffixe -eur de manière générique. » Quant à la langue, nous rassure-t-il, elle est modifiée par l’usage et non par les lubies de simili-intellectuels imbibés de théories gramsciennes : « Si les locuteurs ont besoin d’un féminin, ils le créeront et l’utiliseront. S’ils n’en ont pas besoin, ils ne passeront pas leur temps […] à imaginer des féminins inutiles. » En attendant, glissons Le Sexe et la Langue dans nos bibliothèques respectives.

La langue et la grammaire sont les énièmes ZAD –zones à démolir – de militants égocentriques gagnés par l’ennui civilisationnel et l’inculture d’atmosphère. Agitant les derniers hochets marketing du moment, ils continuent à ânonner mécaniquement que « la langue est fasciste ». Tellement fasciste qu’elle a permis à Roland Barthes, en son temps, de dispenser toute une année de cours sur le « désir de Neutre ». Tellement fasciste, qu’elle autorise, à présent, l’ouvrage officiel de la Cité internationale de la langue française (Villers-Cotterêts), dirigé par la philologue Barbara Cassin, à se fourvoyer dans la syntaxe de la dernière phrase des Mots de J.-P. Sartre, adaptée pour l’occasion au thème de la langue (« une langue qui les vaut toutes et qui (sic) vaut n’importe laquelle »). Terrible défaite – la pire de toutes – pour les déconstructeurs d’hier, de se voir anéantir par la langue des démolisseurs d’aujourd’hui.

Jean Szlamowicz (préf. Nathalie Heinich), Le Sexe et la Langue : petite grammaire du genre en français, où l’on étudie écriture inclusive et autres dérives militantes, Intervalles, 2023.

Janvier 2024 – Causeur #119

Article extrait du Magazine Causeur




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Georgia Ray est normalienne et professeur (sans -e).

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