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Chronique des derniers feux du gaullisme


Chronique des derniers feux du gaullisme
Paris 1960. Roger Wollstadt. Wikipedia.

Il y a plusieurs lectures possibles pour Avant l’aube, le remarquable roman noir de Xavier Boissel qui se déroule à Paris en 1967, c’est-à-dire l’année même de la naissance de l’auteur.

Les métamorphoses de Paris

On peut d’abord, comme dans un Modiano qui aurait lu Ellroy ou David Peace et aurait remplacé la mélancolie légèrement inquiète par un désespoir paranoïaque qui a de bonnes raisons de l’être, s’attarder aux métamorphoses de Paris, à cette ville que quitte déjà une vie réellement vécue avec sa manière de juxtaposer les beaux quartiers et ceux des ouvriers, où l’on pouvait se côtoyer entre classes sociales antagonistes autour des œufs dur sur le comptoir et des ballons de côtes au rouge éclairé par les lumières du zinc. A l’occasion, sur des banquettes, on pouvait apercevoir des étudiants qui buvaient trop et s’apprêtaient à des dérives psychogéographiques en attendant une révolution qu’ils pressentaient imminente et qui éclaterait, de fait, l’année suivante.  Mais attention, Boissel n’est pas dans le chromo larmoyant, l’authentoc de la reconstitution bobo. Il est d’abord un auteur de roman noir, c’est-à-dire que sa poésie urbaine est au service d’une histoire dont elle est l’écrin et pas le diamant.

… sous le crépuscule du gaullisme

L’autre manière de lire Avant l’aube est plus politique. Si 67 est l’année où disparaît le vieux Paris, c’est aussi celle du crépuscule d’un certain gaullisme historique. L’esprit de la résistance s’est montré soluble dans la spéculation immobilière chez quelques grands barons quinquagénaires qui furent à trente ans les hussards héroïques du Général et à 50 des sénateurs avec rosettes et participations dans ces sociétés qui commencent à construire les autoroutes pour faire enfin entrer la France dans la modernité.

Boissel ne juge pas. Là encore, il évite un écueil d’un autre type, celui du polar « engagé » avec un « message ». Non, il autopsie et son scalpel ne tremble pas. On peut avoir commandé un maquis et plus tard se servir du SAC pour gagner des municipales qui s’annoncent plus compliquées que prévues. Et quand on objecte à ces hommes que le SAC est une police parallèle qui après avoir protégé De Gaulle contre l’OAS s’est mise à recruter d’anciens gestapistes de la Carlingue, ils soupirent, regardent ailleurs, se resservent un cognac XO dans les salons du Palais du Luxembourg.

Une enquête qui sent mauvais

Avant l’aube commence par le meurtre d’Audrey Mésange, une ex-prostituée devenue la femme d’un entrepreneur en BTP. L’enquête est confiée à un flic de la Crim’, Philippe Marlin, qui raconte l’histoire. C’est un ancien maquisard, il est veuf, il vit avec son chat et écoute du jazz jusqu’au bout de la nuit. On l’appelle le « cow-boy » depuis qu’il a dégommé par hasard deux braqueurs devant une bijouterie. On lui a un peu tapé sur les doigts parce qu’on n’ouvre pas le feu dans la rue.

Marlin s’aperçoit vite des dessous politiques de l’enquête. Ça sent mauvais. Même Baynac, son supérieur qui le couvrait, meurt dans un accident de voiture, quelque part en Bourgogne. Pour l’aider Marlin n’a que Charlotte Saint-Aunix, une toute jeune rouquine qui bosse à l’AFP, près de la Bourse. Elle est bien jolie dans son Loden rouge même si Marlin ne comprend pas toutes ses références, son goût pour la sociologie et les Rolling Stones, la revue Planète et les amitiés anarchistes.

Truanderie en col blanc, politique et finance

Tout cela va finir très mal, bien entendu. On ne s’oppose pas aux tendances lourdes de l’histoire, surtout quand celle-ci avance masquée dans les noces incestueuses de la truanderie en col blanc, de la politique et de la finance : « Mais depuis quelques années, peut-être depuis la fin de la guerre d’Algérie, le Formica envahissait les bistrots et le béton commençait à chasser le béton des rues, et bientôt, ce serait les Parisiens qui seraient chassés de leur ville. »

Il est bon parfois de remonter à l’origine de nos cauchemars présents. Xavier Boissel l’a fait avec Avant l’aube, dans un style impeccable, mélodique, envoûtant.

Avant l’aube, Xavier Boissel (10-18, 2017)

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