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Aux Pays-Bas, le coût de l’immigration n’est plus une question taboue

La nécessité d’une immigration massive demeure une conviction des élites européennes


Aux Pays-Bas, le coût de l’immigration n’est plus une question taboue
La Haye, Pays-Bas, 2017 © Jonathan Alpeyrie/SIPA

Le pays « déborde », selon son nouveau Premier ministre Geert Wilders. « L’époque où limiter l’immigration était essentiellement un thème électoral de droite semble révolue », reconnait de son côté le quotidien de gauche De Volkskrant.


Une étude de l’école d’économie de l’Université d’Amsterdam sur le coût réel de l’immigration, a fait couler beaucoup d’encre aux Pays-Bas. Il faut dire que le thème de l’immigration a pesé dans les dernières élections législatives bataves. En effet, pays le plus densément peuplé d’Europe, le royaume des digues et des tulipes subit une forte augmentation des arrivées de migrants sur son sol tandis qu’il affronte une grave crise du logement.

Les Hollandais craignent de voir leur culture et leur modèle social fragilisés par une forte immigration, mais ils n’échappent pas pour autant à la crise démographique et à la pénurie de main d’œuvre qui sévit en Europe. Dans ce contexte, la question du coût de l’immigration, donc de sa soutenabilité pour des pays européens en crise, est un fort enjeu autant culturel et politique qu’économique et social.

L’augmentation massive des migrants accueillis, un risque pour l’Etat providence ?

Cette situation explique l’arrivée en tête de ces législatives du leader d’extrême-droite, Geert Wilders. Tous les analystes lient cette victoire à sa rhétorique anti-immigration qui fait de l’augmentation massive de l’arrivée de migrants, un risque à court terme pour l’Etat providence. Le problème est que cette question n’est pas seulement rhétorique, elle parle de l’angoisse des peuples européens de voir leur système politique et leur modèle social impactés par l’arrivée de populations avec qui les écarts culturels, intellectuels, éducatifs, économiques… sont parfois très difficiles à combler.

Geert Wilders, chef du Parti de la Liberté, à La Haye, après l’annonce des résultats électoraux, le 22 novembre 2023. © Peter Dejong/AP/SIPA

La question de l’impossibilité d’intégrer des populations débarquant en nombre trop important se pose quand, à la troisième génération, les descendants de migrants magnifient les codes de leur culture d’origine et rejettent ceux de la société dont ils ont la nationalité. Le risque qu’une immigration non régulée aboutisse à la destruction d’un modèle protecteur n’est pas qu’une vue de l’esprit. Voilà pourquoi la question du coût de l’immigration est essentielle pour les États où la protection sociale est forte et où celle-ci est une des bases du contrat social qui unit les citoyens.

Le coût élevé de l’accueil

Or, il se trouve qu’aux Pays-Bas, évaluer le coût de l’immigration n’est pas un tabou et se pencher sur la question ne vous envoie pas directement en camp de redressement médiatique. Ainsi, l’étude de l’université d’Amsterdam, baptisée « État providence sans frontières », a jeté un pavé dans la mare, remettant en cause bien des représentations, dont celles qui font de l’immigration, une richesse ou qui tendent à expliquer que ce sont les immigrés qui ont construit l’Europe. Ces affirmations ne résistent pas à l’examen des réalités. Selon le mathématicien Jan Van de Beek et l’économiste Hans Roodenburg, auteurs de la publication, aux Pays-Bas, l’accueil des migrants aurait coûté 400 milliards d’euros entre 1995 et 20191. Un chiffre qui correspond à l’ensemble des revenus générés par le gaz naturel néerlandais depuis les années 60.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Un peuple peut en cacher un autre

Face à un tel constat, se pose non seulement la question de l’avenir de l’Etat providence, mais l’avenir du pays tout court. En 2022, la Hollande a accueilli plus de 406 000 personnes. C’est 60% de plus qu’en 2021. Or, selon une commission indépendante mandatée par les députés et chargée d’examiner la trajectoire démographique du pays, si cette évolution devait se poursuivre, le pays passerait de 17,9 à 23 millions d’habitants en 2050 dont 45% serait d’origine étrangère. D’ores et déjà les Pays-Bas peinent à loger et à intégrer les migrants et les services publics (santé, éducation, aides sociales) commencent à être saturés. Le pays, déjà un des plus densément peuplé du monde, s’inquiète.

Une population immigrée qui concentre les aides sociales

Cette question du coût de l’immigration a aussi été posée et étudiée en France, suscitant des polémiques parfois violentes. Il faut dire que, dans le but de faire accepter l’arrivée de populations étrangères, les politiques ont beaucoup communiqué sur le fait que les immigrés étaient une chance pour le pays d’accueil, au point que se poser la question de leur coût apparaissait presque comme une forme de racisme déguisé. Or, on sait déjà qu’en 2018 par exemple, les étrangers ne représentaient que 12,4% de la population mais touchaient 28% du montant total des prestations non contributives2. Bref le débat sur l’apport des immigrés à la société reste ouvert, mais assez rapidement un consensus s’est établi sur le fait que leur accueil avait un prix et qu’à court terme, le bilan coût/bénéfice était négatif. Jean-Pierre Gourevitch, spécialiste de ces questions a abouti à un coût de 53,9 milliards annuel quand les économistes de gauche situent le solde négatif entre 4 et 15 milliards d’euros et ceux de droite et d’extrême-droite, entre 70 et 250 milliards3. Or si l’impact des migrants sur les finances publiques est difficile à chiffrer, c’est que cette question est à la fois complexe et embarrassante.

L’impact des migrants sur les finances publiques, une question complexe et embarrassante

Complexe à cause d’une forte immigration clandestine, complexe aussi parce que selon que l’on étudie l’immigration de travail, l’asile ou le regroupement familial, les résultats sont très différents en termes d’apport ou de coût pour le pays. Complexe encore parce que l’État pense que l’immigration est une nécessité mais n’a pas envie d’investir sur l’intégration. Complexe enfin parce que l’État n’a pas envie de constituer un savoir sur ces questions tant il pense que le réel alimentera un vote de rejet.

Le scandale du rapport de la Cour des Comptes illustre parfaitement cette situation. Souvenez-vous. On a appris, après l’examen de la loi Immigration, que le président de la cour des Comptes, M. Moscovici, avait censuré un rapport très critique sur la gestion par l’État de sa politique migratoire parce qu’il ne voulait pas que l’opposition s’en serve et « fasse ainsi le jeu du Rassemblement national », selon la formule consacrée. Une telle posture revient à faire du mensonge et de la dissimulation une vertu. En effet, organiser le refus du partage d’une information objective et vérifiée, pourtant à la base d’un débat public éclairé, est indéfendable et nuit gravement à l’idéal démocratique. Pourquoi ? Parce que cela signifie dans les faits remplacer la démocratie par l’oligarchie. L’oligarchie pense les citoyens trop stupides pour exercer leur libre arbitre et les trompe parce qu’elle sait mieux qu’eux ce qui est pour leur bien. Ne pas leur donner des informations vraies, si elles dérangent les pouvoirs constitués, est ainsi perçu comme légitime !

La nécessité d’une immigration massive : une conviction des élites, un refus des peuples

La question est aussi embarrassante, parce qu’alors que les peuples souhaitent que l’immigration soit contrôlée et baisse de façon drastique, l’Europe, elle, explique qu’elle aura besoin de trouver 43,7 millions de travailleurs étrangers d’ici à 20504. Pour la France le chiffre atteint 3,9 millions5. Or l’oligarchie politique européenne est en majorité convertie à cette idée. Si Emmanuel Macron a tant voulu expliquer qu’il n’y avait pas de culture française, c’est parce qu’il pense qu’elle est déjà morte et que la question est de réduire la nation (espace culturel, fictionnel, intellectuel, institutionnel et démocratique que forgent les citoyens) à la géographie (espace physique où sont stockées des unités de production biologiques nommée hommes). Dans ce cadre tout le monde est interchangeable et l’intégration n’a pas de sens puisque l’identité politique et culturelle des états européens doit disparaitre. L’ouverture à l’autre finit en dépossession de soi.

Le moins que l’on puisse dire est que les attentes sont plus que contradictoires entre les peuples et les oligarchies au pouvoir depuis des décennies : elles sont carrément opposées. Si l’accueil massif de migrants, qui pose déjà des problèmes en termes d’intégration, de sécurité et d’acceptation de nos mœurs, aboutit à la fragilisation de l’Etat providence et à la mise en cause à terme de la sécurité sociale, la question migratoire, déjà complexe, devrait devenir encore plus explosive.

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  1. https://www.researchgate.net/publication/356802433_Book_Review_iBorderless_Welfare_State_The_Consequences_of_Immigration_on_Public_Finances_Grenzeloze_verzorgingsstaat_De_gevolgen_van_immigratie_voor_de_overheidsfinancieni ↩︎
  2. https://www.marianne.net/economie/economie-francaise/le-vrai-cout-des-aides-sociales-versees-aux-immigres-en-france ↩︎
  3. https://www.lefigaro.fr/actualite-france/jean-paul-gourevitch-sur-l-immigration-les-chiffres-sont-manipules-20230825 ↩︎
  4. https://www.cgdev.org/sites/default/files/can-africa-help-europe-avoid-looming-aging-crisis.pdf ↩︎
  5. https://www.lepoint.fr/economie/immigration-pourquoi-la-france-a-besoin-de-3-9-millions-de-travailleurs-etrangers-21-12-2023-2547912_28.php ↩︎


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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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