Les dommages collatéraux de la politique migratoire d’Angela Merkel s’accumulent : après les victoires électorales « populistes » en Pologne et en Slovaquie, c’est au tour de l’Autriche de manifester sa mauvaise humeur. Le premier tour de l’élection présidentielle dans la république alpine a placé largement en tête Norbert Hofer, un ingénieur de 45 ans présenté par le FPÖ, parti classé à l’extrême droite, dont les représentants au Parlement européen appartiennent au même groupe que les amis de Marine Le Pen. Avec 36,40% des voix, il devance largement le second qualifié pour le second tour, Alexander Van der Bellen, un professeur d’université tyrolien septuagénaire présenté par les Verts, qui obtient 20,4%. Une candidate indépendante, plutôt classée à droite, Irmgard Griss, le talonne avec 18,5%.
Débâcle de la grande coalition
Mais la plus grosse surprise, c’est la débâcle des deux candidats présentés par la coalition gouvernementale au pouvoir à Vienne, une « grande coalition » dirigée par la chancelier social-démocrate (SPÖ) Werner Faymann, en alliance avec le Parti populaire autrichien (ÖVP), d’orientation chrétienne-démocrate. Dans sa grande sagesse, et avec un sens affûté des mathématiques, le corps électoral a fait en sorte que les deux formations gouvernementales soient sanctionnées équitablement : Andreas Khol (ÖVP) et Rudolf Hundstorfer (SPÖ) obtenant exactement le même minable pourcentage de 11,18%, alors que ces deux partis totalisaient plus de 50% des suffrages aux législatives de 2013 !
C’est donc une claque magistrale pour le pouvoir en place, sérieusement fragilisé quelle que soit l’issue du second tour, au point que les commentateurs locaux se demandent si le gouvernement pourra tenir jusqu’au prochain renouvellement du parlement, prévu en 2018.
Le FPÖ dédiabolisée
Le grand vainqueur, le FPÖ, enregistre son plus haut score à une élection nationale, depuis sa fondation en 1945, et surtout depuis son virage vers l’extrême droite initié par feu Jörg Haider dans les années 80 du siècle dernier. Sa participation au pouvoir, en coalition avec l’ÖVP au tournant des années 2000, avait provoqué la mise au ban temporaire de l’Autriche par les institutions européennes au nom des « valeurs » de l’Union. Depuis, beaucoup d’eau brune (le Danube n’a jamais été bleu !) a coulé sous les ponts de Vienne, et après quelques convulsions internes, le FPÖ, sous la direction de Hans Christian Strache, a entamé un processus de dédiabolisation assez semblable a celui mis en œuvre au FN sous l’impulsion de Marine Le Pen et Florian Philippot. Son influence croit à mesure que s’érode celle des « vieux partis » de gauche et de droite, qui se sont, depuis 1945 partagés postes et prébendes dans une Autriche recouvrant sa prospérité dans le sillage du miracle économique allemand des trente glorieuses, qui plus est en ayant fait l’économie d’une reconnaissance de responsabilité de son peuple dans les crimes nazis. Le clientélisme partidaire était, jusqu’à une période récente, la seule clé pour obtenir emplois publics ou logements, et la corruption des élites politiques et économiques avait provoqué une série de scandales financiers alimentant le rejet global du système dans les classes défavorisées.
Un pays en quasi-plein emploi
Cela cependant n’explique pas totalement le gain de plus de 15% des voix enregistré par le candidat du FPÖ dimanche 23 avril, par rapport au score de ce parti aux législatives de 2013. Le chômage à légèrement augmenté, certes, passant en cinq ans de 4,5% (c’est-à-dire le quasi plein emploi), à 6% de la population active, mais n’est toujours pas le souci numéro un de l’électeur autrichien.
Personne n’en doute, en Autriche comme en Allemagne où l’on suit l’affaire avec attention : ce vote est la conséquence des dérèglements provoqués par la décision d’Angela Merkel d’ouvrir toutes grandes les portes de son pays aux demandeurs d’asile, avant de refermer, quelques semaines plus tard, brusquement la frontière avec l’Autriche, bloquant des dizaines de milliers d’entre eux dans ce pays. Naïvement, le président sortant, le socialiste Heinz Fischer, pour critiquer l’action de Merkel, avait fait remarquer au cours de la campagne électorale que le nombre des demandeurs d’asile en Autriche était en ce moment supérieur au nombre annuel des naissances entre le lac de Constance et la frontière hongroise, ce qui a, bien sûr apporté de l’aux au moulin du candidat FPÖ. Trop tardive, trop molle, la réaction du chancelier Faymann aux diktats successifs de Berlin (ouverture, puis fermeture des frontières, imposition de quotas de réfugiés aux pays de l’UE) a réveillé, en Autriche, non pas de vieux démons comme ânonnent les antifas, mais de vieilles rancœurs devant l’arrogance des Prussiens, hier Bismarck, aujourd’hui Merkel…
Vers un front républicain autrichien ?
Il faudrait une sorte de miracle pour que le 22 mai une sorte de front républicain à l’autrichienne s’unisse pour faire barrage à l’accession d’un néo populiste au palais de la Hofburg, résidence viennoise d’hiver des empereurs d’Autriche, devenu palais présidentiel : l’avance de Norbert Hofer est grande, et ses adversaires trop disparates pour se rallier à la figure, certes respectable, mais intempestive d’un vieux prof écolo partisan de la « Willkommenkultur » l’ouverture des portes et des cœurs aux migrants de tous les pays . Le fait que le président de la République d’Autriche n’occupe, selon la constitution du pays, qu’un rôle protocolaire ne changera rien au signal qu’a voulu donner le peuple autrichien à ses gouvernants, et au-delà à l’ensemble du continent.
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