Cet Autre monde du journaliste musical multi-casquettes Yves Bigot est celui où l’on apprend que Balavoine se faisait des rails de coke dans les locaux d’Europe 1, que l’hépatite C mortelle de Stéphane Sirkis (ex-Indochine, frère jumeau de Nicola Sirkis) aurait été causée par la teinture avec laquelle il décolorait ses cheveux (autant que par sa santé déjà fragile), que le Caruso de Florent Pagny tient davantage du yaourt italien que d’une relecture orthodoxe du classique de Lucio Dalla, que « I Want You » signifie « Je te baise » dans la bouche de Dylan, que Stromae se prononce Stromaille (« à la brusseleir »), que Bruel aurait souffert de ne pas figurer dans le Hors-Série du Nouvel Observateur consacré aux 40 ans de 45 Tours de France, sorti en 1991 (à l’époque j’avais acheté le magazine justement parce qu’il n’y avait pas Bruel dedans), que Finkielkraut est « notre ennemi » (sic) car « il amalgame le rock et le Top 50 », etc.
Charge gratuite contre Finkielkraut
Au passage, il me semble que « notre ennemi » est plus sûrement celui qui amalgame la musique avec le diable (Cf. le prêche d’un imam radical de Brest en 2015), à moins que notre académicien ne considère le Top 50 comme une émanation diabolique.
Malgré cette charge gratuite et l’usage immodéré d’anglicismes un peu too much (« hidden track » pour « piste cachée » par exemple), et puisque Bigot évoque pour une fois Duran Duran sans être insultant – au contraire même, en en faisant des inspirateurs du néoromantisme français dont Alain Chamfort serait l’archétype -, on lui pardonnera les quelques petites erreurs qui piquent les yeux (l’auteur écrit Danceteria au lieu de Dancetaria, trébuche sur le nom du groupe punk Les Porte-Mentaux – qu’il orthographie Les Porte-Manteaux -, cite L’Homme à la tête de chou à la place de L’Homme à tête de chou, etc.) et on recommandera ce livre de passionné sachant électrifier sa plume sans craindre de s’attirer les foudres people (lire à ce sujet le passage consacré à Lio, où il égratigne les photos osées de la chanteuse parues dans Lui en 1988, sarcasmes qui lui vaudront une sévère rancune de la brune, jusqu’à aujourd’hui).
L’entrée des artistes
Un Autre monde est à lire car Yves Bigot nous emmène dans les coulisses des artistes dont il a la charge dans les années 90 (lorsqu’il est à la direction de plusieurs maisons de disques) pour des périples assez cocasses et nous convie à la table de ses souvenirs de journaliste Rouletabille – avec parfois la complicité de sa femme, la manageuse Virginie Borgeaud – en assumant ses opinions tranchées, quitte à faire son mea culpa tardif dans certains dossiers.
Au sommaire, 30 chapitres d’une douzaine de pages en forme de chroniques – aux allures de selfies littéraires avec les artistes -, consacrés chacun à une figure de la chanson française ou du rock français, dans lesquels l’auteur mêle ses analyses d’expert musical érudit à des considérations plus confidentielles sur la personne ou le groupe en question, nourries par ses rencontres avec eux dans le cadre de ses activités professionnelles. On ne s’étonnera donc pas du nombre foisonnant d’anecdotes.
L’argus de Boboland
Parmi les sujets abordés : Téléphone, Niagara, Elli & Jacno, Taxi Girl, Balavoine, Cabrel, Thiéfaine, Couture, Eicher, Indochine, Murat, Les Rita Mitsouko, Daho, Manu Chao, Noir Désir, Capdevielle, Dominique A, Les Innocents, Biolay, Bruel, Bénabar, Zaz, Zazie, etc. (rayer au bazooka les mentions inutiles et nuisibles). Le dernier tiers de l’ouvrage, moins emballant car traitant essentiellement de la génération des années 2000 – la fumeuse « nouvelle chanson française » -, palote et interchangeable au possible, vire à l’argus de Boboland.
Et puis, certes, le côté moraliste de l’introduction peut refroidir les ardeurs : en gros, être contre l’attribution du prix Nobel de littérature à Dylan équivaut à être un aigri frustré aux yeux d’Yves Bigot (ou un « papy scrogneugneu » dixit Alain Finkielkraut, anticipant avec autodérision l’Inquisition de la bien-pensance). Bientôt, le comble du snobisme sera de dire : « Je ne lis pas Dylan, je le relis ».
Il faut croire que la musique n’adoucit plus vraiment les mœurs, mais on en connaît la raison désormais, et Bashung nous avait prévenus : « C’est la faute à Dylan » !
Un Autre monde, Yves Bigot, éditions Don Quichotte, 2017.
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