Une année (impaire) donc sans salon de l’automobile à Paris, c’est comme une campagne électorale de printemps sans « affaires » ! On se sentirait presque désœuvré. Le badaud de la Porte de Versailles a ses habitudes d’automne. Il y pense durant tout l’été. Sandwichs spongieux vendus au prix du foie gras, hôtesses cernées de toutes parts, attroupements du côté de Ferrari et brouhaha général dans les allées. On dirait un meeting de la présidentielle où les candidats maquillés auraient été remplacés par des voitures lustrées. 2017 s’annonçait comme un millésime bien morne pour les autophiles.
J’aime conduire et je t’emm…
Des restrictions de circulation un peu partout dans les villes, le spectre de l’OMS à chaque changement de vitesse et des fumées anxiogènes dans le rétro, l’automobiliste n’en menait pas large. Voter pour les extrêmes est aujourd’hui moins honteux que conduire décapoté sur une route de campagne. Aimer rouler, jouer de l’embrayage, mater les carrosseries dans la rue, seront des actes bientôt punis sévèrement par la loi. Alors, le nostalgique de la Nationale 7 et de la Route 66 se terre chez lui, il compulse en cachette de son épouse de vieux numéros de Sport Auto et il regarde, à la nuit tombée, le court métrage de Claude Lelouch « C’était un rendez-vous » en mettant le volume de son téléviseur au minimum, de peur de déclencher une révolution dans sa zone pavillonnaire.
C’était un rendez-vous – 1976 from LeCatalog on Vimeo.
Il se fait passer pour un piéton auprès de ses enfants dont l’écoresponsabilité tyrannique le glace malgré l’indéniable réchauffement climatique. A Noël dernier, il s’est acheté un vélo électrique pour donner le change aux réunions de famille. Enfin, depuis le mois d’avril, l’espoir renaît.
Au cinéma, Fast & Furious 8 engrange des records d’entrées. A la machine à café, il a perçu des regards moins hostiles que d’habitude chez ses collègues de bureau lorsqu’il s’est lancé dans un panégyrique des « Muscle cars », ces américaines des sixties gonflées de chevaux et gavées de pétrole. Il a suffi qu’il raconte la première scène du film tournée à la Havane pour que sa ringardise mécanique passe pour une ouverture d’esprit, voire un cosmopolitisme de bon aloi. Vin Diesel et Michelle Rodriguez, au volant respectivement d’une Dodge Charger et d’une Chevrolet Corvette, deviendraient presque des permis de respectabilité.
Quand il a parlé, non sans une émotion feinte, des jambes de Charlize Theron et de son Toyota BJ, les stagiaires lui ont trouvé un charme certain. Un je-ne-sais-quoi de désuet et désirable. L’auto ne sort pas uniquement du garage pour se réfugier dans les salles, elle se fait aussi intello dans les expos. Elle ose s’afficher sur les murs des musées.
Phautomaton
Jusqu’au 24 septembre, la Fondation Cartier pour l’art contemporain accueille « Autophoto de 1900 à nos jours », soit 450 œuvres d’une centaine de photographes de renom. L’auto s’élève désormais au rang des beaux-arts. On l’ausculte sous tous les angles, on réfléchit à son esthétique, à sa place dans la société, à son empreinte sociologique, on cogite sévère autant sur sa trace dans notre psyché que sur le macadam. Rassurez-vous, ça ne fait pas mal ! Tout n’est pas compréhensible pour le quidam juste venu se rincer l’œil et l’enchaînement des salles laisse parfois un peu perplexe. Toutes les expressions artistiques cohabitent dans cette galerie. Certains travaillent sur l’objet même, d’autres sur les infrastructures routières, chacun livre un regard personnel. Quelques démarches peuvent sembler obscures mais l’essentiel est remarquable, notamment les collections des géants de la photo (Brassaï, Doisneau, Man Ray, Germaine Krull, etc…).
Une mention spéciale au travail de Jacques Henri Lartigue (1894-1986), si l’on connait par cœur ses clichés quasi-oniriques, sa vision transfigurée de la vitesse continue d’éblouir et de perturber. Il faut voir au moins une fois dans sa vie, la Delage du Grand Prix de l’Automobile Club de France de 1912 capturée sur le circuit de Dieppe, en pleine action, la machine se tord jusqu’à aplanir les roues et contraindre le paysage. Du grand art ! Les photos de Seydou Keïta et de William Eggleston touchent en plein cœur comme les archives de la croisière jaune et noire de l’aventure Michelin. Un monde s’ouvre à nous. Les mythologies automobiles carburent à plein régime. Enfin, la réflexion de Fernando Gutiérrez sur la place de la Ford Falcon dans la dictature argentine mérite de s’y arrêter quelques instants. L’auto finirait presque par devenir snob cette année…
Exposition Autophoto à la Fondation Cartier pour l’art contemporain jusqu’au 24 septembre – 261, boulevard Raspail 75 014 PARIS –
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