Entretien avec le journaliste Paul-François Paoli
La Corse s’est embrasée. Yvan Colonna est entre la vie et la mort. Son agression quasi fatale par un islamiste a mis le feu aux poudres, et a suscité la colère de certains Corses. Certains soirs, les manifestants se livrent à des affrontements d’une rare violence avec les forces de l’ordre. Entretien avec le journaliste Paul-François Paoli, auteur de France-Corse, je t’aime moi non plus (éditions de l’Observatoire, 2021).
Causeur. Comment expliquer cet embrasement dans la jeune génération, qui n’était parfois même pas née à l’époque de l’assassinat du préfet Erignac ? Êtes-vous surpris par l’ampleur de cette révolte ? Etait-ce prévisible ?
Paul-François Paoli. Non, je ne suis pas surpris par l’ampleur de cette violence qui exprime un mouvement très profond de désaffiliation à la France, mouvement qui était certes masqué jusqu’alors par le fait que les nationalistes avaient déposé les armes.
Pour ces jeunes radicalisés, la mort du préfet Erignac est très lointaine. Le vrai héros, ce n’est plus Claude Erignac, qui a été abattu comme un chien dans des conditions qui déshonorent d’autant plus les auteurs de ce crime que les traditions corses dont se réclament les nationalistes sont fondées sur le face-à-face. On n’abat pas, en Corse, un homme dans le dos.
En même temps, cette explosion pouvait être prévisible. L’État a commis des erreurs symboliques majeures, notamment en ne comprenant pas qu’il fallait, coûte que coûte, rapatrier en Corse des condamnés politiques qui avaient purgé l’essentiel de leur peine.
Le visage d’Yvan Colonna se retrouve sur des t-shirts, tel un “Che” Corse. Comment comprenez-vous cette héroïsation d’Yvan Colonna, qui est certes devenu la victime d’un criminel islamiste, mais qui aux yeux de la justice reste l’assassin du préfet Erignac ? Que symbolise-t-il pour les manifestants ?
L’image d’Yvan Colonna était moins prégnante depuis quelques années, et voilà qu’elle resurgit à travers cette scabreuse histoire d’agression par un islamiste franco- camerounais dont on peut se demander pourquoi il n’a pas été expulsé dans son pays d’origine… Les nationalistes tiennent à travers Colonna un martyr. Et ils voient dans ce drame un indice de plus de l’islamisation de la France et de la lâcheté des élites face à ce phénomène. Du coup, Colonna peut devenir le symbole d’une double peine. Puni par l’État français, il est aussi la victime de la décomposition d’un État incapable de mettre un frein à une immigration dont les conséquences peuvent être mortifères, y compris pour la Corse.
La défaillance du système de surveillance est la principale raison donnée par les politiques et les médias pour expliquer les huit minutes pendant lesquelles Yvan Colonna a été agressé par son codétenu radicalisé. Mais on a effectivement l’impression qu’on insiste beaucoup là-dessus pour mieux détourner l’attention sur l’identité religieuse de l’assaillant… La grande manifestation organisée dimanche dernier, à Bastia, fut marquée par des violents affrontements avec les forces de l’ordre, mais également par un centre d’impôts qui a été pris pour cible. Que symbolise cette attaque d’un bâtiment administratif emblématique de l’État ?
Cette attaque d’un centre des impôts est évidemment absurde comme l’est l’attaque de la grande Poste de Bastia qui a également été dégradée. L’État est le principal employeur de l’île et il y a fort à parier que ces petits casseurs ont parmi leurs proches parents des agents publics. On mesure ici la dimension infantile d’un certain nationalisme corse qui demande à la fois la défense des services publics et justifie la violence contre des bâtiments administratifs.
Que pensez-vous des révélations du Canard enchaîné sur le marchandage politique et électoral entre l’Élysée et Gilles Simeoni quant au rapatriement des prisonniers corses et à l’octroi de l’autonomie en échange d’un soutien du président sortant à l’élection présidentielle ? Tout cela n’est-il pas de nature à discréditer le mouvement autonomiste ?
Si ce marchandage est avéré, il discrédite surtout l’exécutif, mais je n’y crois pas. Emmanuel Macron doit absolument restaurer une relation de confiance avec Gilles Simeoni qui jouit en Corse d’une légitimité qui dépasse en réalité largement son propre camp. Quant à l’autonomie, c’est un mot-valise. Ce qui compte est ce que l’on met réellement dedans.
C’est parce que la France n’est plus la France que la Corse ne sent plus appartenir à la nation française et s’éloigne du continent. Telle est la thèse de votre dernier essai, si vous m’autorisez ce résumé un peu grossier. En évoquant l’autonomie, Gérald Darmanin ne fait-il pas qu’empirer les choses, en affaiblissant notre France si jacobine, notre nation une et indivisible ? Le ministre de l’Intérieur n’envoie-t-il pas un terrible signal qui ne peut que renforcer les autres revendications sécessionnistes du pays, qu’elles soient régionales ou identitaires ?
La vraie question est le statut du « peuple corse » qui est le Graal des nationalistes, qu’ils soient autonomistes ou indépendantistes. Si Gilles Simeoni déclare que le peuple corse, tel qu’il le conçoit, est partie intégrante du peuple français, il clôt 50 ans de nationalisme. À partir de là on peut discuter de l’autonomie. Mais on ne peut discuter d’autonomie avec des gens qui considèrent que la vocation du « peuple corse » est de se dissocier du peuple français. Dans ce cas, c’est d’indépendance qu’il faut parler.
Le FLNC a annoncé le retour de la lutte armée, détricotant des années de lutte électorale pendant lesquelles les autonomistes ont conquis une légitimité politique. Faut-il craindre des attentats et des plastiquages de maisons notamment celles des pinzutu ?
Léo Battesti, ex-dirigeant du FLNC, a de son côté mis récemment en garde les boutefeux qui pourraient faire encore plus de mal à la Corse en reprenant leurs activités clandestines. Il a d’ailleurs écrit dans son livre, La vie par dessus tout, que la Corse n’avait pas vocation à se transformer en nation.
Les vrais défenseurs de la Corse ne sont pas les radicaux qui sont en train de créer un vaste mouvement de rejet anti-Corse mais les modérés qui cherchent le compromis. Ce que ne comprennent pas les nationalistes, c’est qu’il va arriver un jour où, de guerre lasse, les Français hexagonaux vont vouloir se débarrasser de la Corse. Henry Kissinger a écrit cette formule que je trouve géniale : « Un compromis est toujours une insatisfaction partagée ». C’est cette voie-là qu’il faut rechercher si l’on veut vraiment le meilleur pour la Corse.
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