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Autant en emporte le « Woke »

Un conformisme de plus en plus inquiétant


Autant en emporte le « Woke »
Vivien Leigh et Leslie Howard dans "Autant en emporte le vent" (1939) ©INTERFOTO USA/SIPA 00516179_000011

La bien-pensance progressiste a encore frappé. Dans la censure du film « Autant en emporte le vent », c’est l’idéologie victimaire du Woke qui est à l’œuvre. Analyse.


La plateforme de diffusion en streaming HBO Max vient de retirer de son catalogue le film de 1939 aux dix Oscars Autant en emporte le vent au motif de ses « préjugés racistes ». Il devrait être proposé à nouveau aux abonnés mais avec un message d’avertissement pour « contextualiser » le film dans son époque.

L’idéologie victimaire du Woke à l’oeuvre

Il s’agit d’une nouvelle réaction excessive de l’idéologie victimaire du Woke. Ce terme dérivé du verbe anglais « to wake » (se réveiller) désigne le prétendu progressisme des personnes « éveillées » conscientes des discriminations raciales ou de genre envers les minorités.

Une partie du mouvement ne se contente pas de vouloir dénoncer les injustices du présent mais également les stigmatisations du passé notamment dans les films et les séries télévisées quitte à flirter parfois avec l’absurde.

« Je crois que nous sommes à une époque, dans notre culture, où les gens adorent prétendre qu’ils sont choqués (…) il n’y a plus de nuance dans le débat » (Matt Groening)

C’est ainsi par exemple qu’un épisode de 1968 de Charlie Brown et Snoopy fêtant Thanksgiving a été accusé quarante ans après de racisme car le personnage de Franklin était assis d’un côté de la table et sur une chaise différente des autres enfants… alors que l’apparition d’un personnage noir dans la bande dessinée de Charles M. Schulz marque au contraire les convictions de son auteur en faveur des droits civiques.

Autre exemple avec la campagne virulente contre la présence du personnage indien d’Apu dans la série Les Simpson suite à un documentaire en 2017 The problem with Apu dénonçant les stéréotypes racistes véhiculés. La polémique fut très vive et reprise notamment sur les réseaux sociaux obligeant Matt Groening le créateur des Simpson à se justifier en rappelant qu’il aimait la culture indienne et qu’il avait donné ce prénom en référence au personnage Apu des films de Satyajit Ray. Il ne se prive pas aussi de contre-attaquer sur les excès des éveillés : « je crois que nous sommes à une époque, dans notre culture, où les gens adorent prétendre qu’ils sont choqués (…) il n’y a plus de nuance dans le débat ».

Le réalisateur du film Joker (Lion d’or à Venise en 2019) explique quant à lui avoir abandonné le registre de la comédie dans lequel il s’est fait connaître à cause de cette pression des éveillés : « Essayez d’être drôle dans cette culture woke, qui se veut consciente de tout (…) tous les mecs amusants se barrent de peur d’offenser le public. C’est dur d’argumenter avec 30 millions de personnes sur Twitter. C’est même carrément impossible (…) Toutes mes comédies ont cette chose en commun – et je pense que c’est le cas pour tous les films du genre en général – c’est qu’elles sont irrévérencieuses ».

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D’autres acceptent mieux la critique des éveillés et font même preuve de repentance comme Marta Kauffman la créatrice de la série Friends qui a déclaré en pleurs il y a quelques jours : « j’en ai pas fait assez pour la diversité (…) Désolée, j’aurais aimé savoir ce que je sais aujourd’hui. J’aurais pris des décisions très différentes ».

Beaucoup de bruit pour peu de changement

Tout comme les propos de Marta Kauffman, le retrait d’Autant en emporte le vent du catalogue d’HBO Max s’inscrit évidemment dans l’actualité de ces derniers jours comme un acte fort en lien avec le regain du mouvement Black Lives Matter, suite à l’émoi suscité par la bavure criminelle contre George Floyd. Mais pas seulement, car le film de Victor Fleming avait déjà été pris à parti au cours d’un autre événement dramatique. En effet, un cinéma de Memphis avait décidé suite à des protestations de suspendre la projection du film car trop « révisionniste » et « insensible à la population afro-américaine ». Une décision prise quelques jours après les affrontements de Charlottesville l’été 2017 : un rassemblement de suprémacistes au-cours duquel un néonazi a foncé sur les contre-manifestants et tué une femme.

À l’époque Donald Trump avait été très critiqué pour avoir d’abord hésité à réagir avant de renvoyer les deux camps dos à dos en regrettant des « torts partagés ». Considéré comme hostile aux minorités, le président américain a d’ailleurs été un catalyseur pour le mouvement des éveillés. Et tant pis si depuis février le merchandising de campagne pour sa réélection reprend sur des casquettes et des t-shirts le terme de Woke alors qu’au contraire l’ancien président Barack Obama critique la course à la pureté idéologique du mouvement : « ce n’est pas vraiment de l’activisme. Ce n’est pas comme ça qu’on fait changer les choses ».

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Pour ceux qui se satisfont de l’aboutissement de l’hystérie victimaire Woke s’en prenant à un classique du cinéma vieux de quatre-vingt-un ans, on rappellera juste qu’une de ses interprètes, l’actrice Hattie McDaniel, a été la première afro-américaine récompensée par un Oscar en 1940 grâce à son rôle dans Autant en emporte le vent… Une reconnaissance artistique aux conséquences bien plus importantes pour la diversité que les leçons de morale et de vertu par les prétendus éveillés d’aujourd’hui.

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Avocat et Docteur en droit. Auteur de « Touchdown. Journal de guerre » (Éditions Les Presses Littéraires, 2024).

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