La France est-elle raciste ? En tout cas, ça n’a pas dû s’arranger depuis la diffusion, le 19 septembre sur France 5, du premier numéro du magazine « Teum-Teum », tourné à La Courneuve, avec Stéphane Guillon en invité vedette. Pourtant, tout avait bien commencé…
Au matin, l’artiste est dans une forme rayonnante, comme le soleil levant sur la cité des « 4000 ». En compagnie de son guide, il se promène, souriant, dans les rues de la cité interdite – non sans tester d’emblée sa posture d’humoriste engagé : « Je suis plus en sécurité ici qu’à Neuilly ! » Ben voyons ! On l’imagine, un instant, tabassé à coups de sac par des dames de Sainte-Croix, et on se prend à rêver…
Mais non ! Ce trait d’esprit, sans doute travaillé dans le RER, signifie simplement : j’ai pas peur de ces quatre mille Arabes parce que je suis pas raciste mais, en revanche, les bourges de Neuilly veulent ma peau parce que je suis un insoumis. Putassière pirouette d’un bouffon bien en cour qui n’a rien à craindre nulle part sauf devant sa conscience, c’est-à-dire vraiment nulle part.
[access capability= »lire_inedits »]Le malaise, pourtant, Guillon en prend conscience progressivement, juste un peu moins vite que le téléspectateur. C’est tout le charme de ce documentaire chronologique : entre le matin et le soir, l’âne change de ton ; ainsi finit la comédie…
Dans une boucherie halal, il croit pourtant « détendre l’atmosphère » en commandant haut et fort des côtes de porc. Rires polis, sans doute grâce à la caméra.
– On peut se moquer des religions ?, lui demande fort à propos son accompagnateur, Juan Massenya.
– En principe, il vaut mieux se moquer de la sienne, comme le catholicisme pour moi (sic). Mais quand c’est fait avec intelligence, ça passe ! (re-sic)
À cet instant, Stéphane, qui alterne consciencieusement humour et sérieux, rumine sans doute une phrase bien sentie sur « la déshumanisation programmée des cités par un urbanisme ghettoïsant », ou genre. Mais le voilà tout déconcerté par la surprise que lui réservait Juan : « Ce boucher, Stéphane, est aussi un artiste-peintre ! » Ah oui ? Mais c’est que ça n’entre pas du tout dans le cadre fixé par Guillon pour sa tournée des popotes… Au lieu de distribuer, comme il sait faire, bonnes paroles et bons mots, le voilà contraint d’accepter du boucher non pas deux côtes de porc, mais une toile abstraite digne de la FIAC !
Tandis que Guillon balbutie « Ha… heu… Merci beaucoup, on dirait, heu… du Poliakov… », son regard égaré semble dire : « Mais c’est quoi ça ? C’était pas dans le contrat ! Qu’est-ce que je dis, moi ? Et qu’est ce qu’ils veulent prouver, à la fin, dans ce reportage à la con ? »
Bonne question, Guillon ! Ce que « Teum-Teum » veut montrer, c’est une autre réalité. Pas seulement la violence, la délinquance et la drogue qui font l’ordinaire des JT, ni la misère organisée que racontent au coin du feu les intellectuels engagés. Plutôt, pour changer, des habitants de la cité qui ont décidé de s’en sortir malgré les difficultés, et qui y arrivent !
Entre autres, un jardinier autodidacte, fier de ses fleurs rares ; deux employés entreprenants qui ont créé leur propre boîte ; et même des architectes du cru qui en remontrent à Stéphane sur l’urbanisme social !
À force d’être ainsi contrarié, Guillon perd les pédales et finit en roue libre…
Pourquoi ce terrible malentendu ? diront les première année. Tout simplement parce que Stéphane, comique organique du système, est infoutu de se remettre en cause : si son numéro ne marche pas, c’est que le public est mauvais !
Lui se voyait, ce jour-là, en jeune Kouchner drôle et décoiffé, offrant sa bimbeloterie à une tribu lointaine et reconnaissante. Au lieu de quoi ces sauvages semblent bien lui dire : « Qui t’es toi, pour raconter notre vie à notre place ? »
Eh bien, une personne de qualité, de celles qui « savent tout sans avoir rien appris ». Avant même de débarquer sur ces terres improbables, l’explorateur comprenait mieux que les indigènes leurs problèmes, la solution, et même comment en blaguer entre-temps. Enfin quoi, foutrebleu, ce n’est pas aux lépreux de nous expliquer la lèpre !
Bref, il est déçu, le Guillon ; d’où ce soulagement inavouable, qu’on entrevoit à la nuit tombée, dans son œil épuisé et même pas content.
« Qu’est ce que tu retiendras de cette expérience ? », lui demande en conclusion Juan, décidément lourdingue. Et l’autre de ramer sur l’exclusion des pauvres, le cynisme des riches, la noirceur des Blancs, que sais-je, avant de se trahir dans les politesses d’usage : « J’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de gaîté », lâche-t-il, comme en sortant d’un centre ce soins palliatifs… « Les gens étaient contents de me voir et, heum, j’espère qu’ils vont venir, euh… chez moi, quoi, bientôt. » (Sous-texte : pourvu que ces cons de la prod’ n’aillent pas donner en vrai mon adresse à tous ces glands !)
Avec tout ça, diront certains, on est quand même loin du sujet : la France est-elle raciste ? Au contraire, on est en plein dedans ! Avec son autisme hautain, son nordisme de carpetbagger et son paternalisme niais, Guillon aux « 4000 », c’est Tintin au Congo – l’esprit en moins.[/access]
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