Se mettre à table, au propre comme au figuré.
Aurélien Rousseau, député socialiste et ancien ministre de la Santé, a vendu la mèche quand il a remercié les médias complaisants qui, durant la campagne entre les deux tours des élections législatives, ont favorisé la gauche et le Nouveau Front populaire. Voilà une personnalité qui avec une sincérité reconnaissante révèle ce qui serait demeuré ignoré de la plupart des citoyens, persuadés que dans notre démocratie tous les candidats sont traités avec équité ! Il faut reconnaître que sa gratitude ne se trompe pas de cibles puisqu’elle rend grâce au Monde, à La Croix, à Libération et à France Bleu. Ce que nous étions quelques-uns à percevoir – une partialité médiatique contre le Rassemblement national, battant en brèche les exigences d’une information honnête – prend toute son importance quand l’un des bénéficiaires de cette discrimination délibérée l’avoue avec candeur. Je ne doute pas que le fait de n’avoir jamais été mis en cause pour sa volte politique et sur le fond a rendu ses remerciements encore plus authentiques. Passant d’Emmanuel Macron au NFP, d’une réforme des retraites à sa possible suppression, il aurait pu trembler mais ces quatre médias ont été aimables avec lui ! Il s’est mis à table au figuré.
Édouard Philippe, lui, s’est vu reprocher de s’être attablé au propre au mois de décembre 2023 avec Marine Le Pen à l’initiative de Thierry Solère – dont apparemment personne n’est gêné par ses multiples mises en examen. Ce dîner aurait dû demeurer secret. L’ancien Premier ministre a été questionné comme s’il s’agissait d’une honte, d’un scandale. Marine Le Pen estimant, elle, que « c’était tout à fait normal ». Il a assumé cette rencontre en soulignant d’abord qu’il dînait avec qui il voulait et qu’ensuite, si leurs échanges avaient été cordiaux, il en avait profité pour lui faire part de ses nombreux désaccords. Il n’aurait pas davantage refusé de s’attabler avec Jean-Luc Mélenchon, exactement dans les mêmes conditions.
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Je conçois que l’interrogation puisse s’attacher au caractère longtemps maintenu secret de ce repas comme si les deux convives avaient eu eux-mêmes conscience de sa particularité. Je comprends bien qu’une transparence absolue est impossible et que de fait elle rendrait invivable la vie politique qui parfois impose des échanges discrets. Mais il est navrant qu’au-delà de cette évidence, une sorte de retenue continue à peser sur les relations qu’on n’ose pas avouer cordiales avec Marine Le Pen ou Jordan Bardella. Comme s’il y avait une obligation morale à détester l’une ou l’autre et que la simple discussion ou dénonciation de leur programme ne suffisait pas. Il faut pousser encore plus loin l’hostilité.
Bien sûr, au sein de son camp, tous les bons apôtres, les âmes pures ont protesté en affirmant qu’ils n’auraient jamais accepté de dîner avec Marine Le Pen, ce qui est se moquer du monde ! Cet épisode n’est pas dérisoire qui montre la manière dont un homme politique qui a de hautes ambitions pour 2027 sait ou non affronter des polémiques à la fois insignifiantes mais tellement révélatrices de notre médiocre climat républicain. Imaginons que demain on apprenne que Gérald Darmanin a dîné en secret avec Marine Le Pen : il y aurait le même type de controverse. Aussi aberrante. Sans doute réservé à la seule famille Le Pen ou Marion Maréchal ou Éric Zemmour. Comme si nous étions, avec eux, en guerre humaine et pas seulement en contradiction politique. La haine que ses ennemis reprochent au RN de diffuser, est en réalité partout dans le monde politique. On a peur de se mettre à table pour n’être pas tenté d’écouter, de comprendre ou, qui sait, d’approuver ?