Le livre d’Aurélien Marq nous apporte des clés philosophiques pour penser le choc de civilisations que beaucoup redoutent.
Quand j’ai reçu les épreuves du livre d’Aurélien Marq pour en écrire la préface, je visitais les plages du débarquement de Normandie avec mes enfants. Aujourd’hui que je dois en faire la recension, nous sommes après une tragédie atroce, celle du 7 octobre, où des islamistes ont montré très concrètement que les nazis avaient des héritiers et successeurs et que les horreurs antisémites recommençaient.
Dans les allées du cimetière de Colleville-sur-Mer, j’ai expliqué à mes enfants que l’on voyait bien, dans la jeunesse de ces vies fauchées, dans leur nombre, le prix que coûtent la lâcheté et le déshonneur. Mais cet été encore, je pensais qu’eux n’auraient pas à payer de prix. La faiblesse face à l’Allemagne nazie a détruit des vies par dizaine de millions. Mais cet été encore, je pouvais encore dire que ces morts n’avaient pas été vaines et qu’elles nous avaient légué une conscience humaniste plus forte, que face à l’horreur des camps, s’était élevé un « plus jamais ça » qu’il nous appartenait de rendre réel.
Nouvelle menace
Aujourd’hui je sais que nous avons échoué. L’antisémitisme est de retour. Et si la plupart d’entre nous rejettent le terme de guerre de civilisation face au chaos qui semble gagner ce monde, c’est parce que l’on pense être du côté des perdants. Aurélien Marq, lui, assume le fait que nous assistions à la montée des lignes de fractures qui montrent que deux visions du monde et de l’homme s’affrontent. Celle, universaliste et humaniste, qui a donné naissance à la démocratie et qui mise sur le libre arbitre, la raison et le logos et celle autoritariste qui vise à soumettre l’homme et à le dépouiller de toute autonomie pour en faire la simple partie interchangeable d’un Tout. C’est exactement ce que refuse Aurélien Marq. À travers Refuser l’arbitraire, c’est une voie vers l’avenir qu’il propose, une voie qui parle de la noblesse du courage et de la nécessité de la lutte, une voie qui rappelle que nous avons dans notre culture des ressources qui nous arment contre le retour de l’obscurantisme et de la soumission des hommes.
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Il nous dit aussi autre chose : combattre, comme l’ont fait ces soldats, ces héros de la seconde guerre mondiale, c’est être prêt à mourir certes, mais c’est aussi être prêt à tuer. Le sacrifice est une dimension du combat, mais on ne se bat pas pour se sacrifier. Il reste une question lancinante : pour quoi serais-je prête à me battre mais aussi pour quoi serais-je prête à ce que mes enfants risquent leur vie ? Pour quoi serais-je prête à ce que mes enfants tuent ? Que penserais-je, que ressentirais-je, si aujourd’hui mes enfants portaient l’uniforme de Tsahal et partaient combattre, c’est-à-dire tuer et peut-être mourir, pour empêcher que se reproduise le déchaînement de sadisme auquel s’est livré le Hamas le 7 octobre ? Je déteste devoir me poser ces questions. Je les fuis. Je vomis le monde qui m’oblige à me les poser et les politiques qui nous ont mis dans cette situation. Il n’en reste pas moins que ces questions sont là. Tenaces, insistantes, réelles. Que derrière ces questions encore abstraites, il y a à Israël et à Gaza des morts, elles, bien réelles. Dans ce livre, Aurélien Marq montre que l’évolution de nos sociétés rend ces questions urgentes. Et l’actualité ne lui donne par tort, hélas. Il propose donc des pistes pour y répondre, pour regarder en face les réalités les plus dures sans perdre ni courage ni espoir.
Un appel à défendre notre civilisation
Et pour y arriver, le livre passe par une forme de méditation philosophique qui convoque Socrate, Mencius en passant par Arnaud Beltrame. Des premiers chants d’Homère au wokisme, les références sont multiples, à la fois classiques et actuelles. Réflexion sur la dignité humaine face au consumérisme, sur la beauté face aux évolutions de l’art post-moderne, sur la vérité et le débat intellectuel face à la tentation de la censure, sur la cohésion nationale face à une délinquance de plus en plus violente, le livre ne pose pas le simple constat de notre décadence, c’est surtout un recueil de propositions concrètes pour réformer l’Etat et pour agir en tant que citoyens.
Déclaration d’amour à la civilisation européenne et à sa décence commune, aux hommes et aux femmes qui l’ont faite, des plus célèbres aux plus humbles, ce livre est un appel à défendre cette civilisation. Pas seulement parce qu’elle est la nôtre, mais parce qu’elle a apporté au monde des choses uniques et précieuses, au premier rang desquelles la liberté de conscience, l’abolition de l’esclavage, le raisonnement scientifique, l’égalité en droit… Parce que malgré ses erreurs et ses fautes, cette civilisation à la fois gréco-romaine et judéo-chrétienne cherche à trouver un moyen de faire grandir les hommes, de les gouverner et de forger le lien citoyen à travers la quête du Juste, du Vrai, du Beau et du Bien. Elle a encore beaucoup à offrir au monde, aux hommes et à chacun d’entre nous.
Le 7 octobre nous a fait basculer dans un monde nouveau. La barbarie est là, elle s’est déchainée en Israël. Elle monte en Europe et se traduit par l’explosion des crimes antisémites et les menaces qui pèsent sur notre quotidien. Dans ce clair-obscur où naissent les monstres et où se fabriquent les narratifs qui les revêtent de peaux de moutons, le livre d’Aurélien Marq m’apparaît encore plus pertinent que lorsque je l’ai découvert. Refuser l’arbitraire nous oblige à nous poser des questions essentielles et appuie là où cela fait mal – tout en nous rappelant qu’il n’y a pas de fatalité au déclin, et que nous sommes riches d’une immense tradition dans laquelle nous pouvons puiser de quoi nous réarmer moralement et intellectuellement.
« Refuser l’arbitraire: Qu’avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ? », Aurélien Marq, FYP éditions, 348 pages.
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