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Aurélie Dupont publie « N’oublie pas pourquoi tu danses » (Albin Michel, 2024)


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Aurélie Dupont publie "N’oublie pas pourquoi tu danses" (Albin Michel) © LE FOUILLE/SIPA

Le récit-évènement de l’ancienne danseuse étoile ravira les aficionados de danse, mais pas seulement. Car il se lit comme un roman.


Dans Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche écrit : « Il faut avoir une musique en soi pour faire danser le monde. » Aurélie Dupont, qui fut danseuse étoile du ballet de l’Opéra national de Paris, nous révèle dans son autobiographie, N’oublie pas pourquoi tu danses, cette musique intérieure qui lui permit d’atteindre l’acmé de la danse classique. Elle nous raconte tout dans un livre qui se lit comme un roman. Tout, c’est-à-dire une carrière unique commencée dès son entrée dans la Compagnie à seize ans et achevée le 18 mai 2015, jour de ses adieux à la scène, en dansant L’Histoire de Manon. Elle s’inscrit dans la lignée de Loïe Fuller et Isadora Duncan, deux femmes libres qui firent de leur corps en tungstène une œuvre d’art pour offrir un instant de beauté souple au monde.

Passion dévorante

Aurélie Dupont débute son récit en évoquant cette blessure au genou qui risque de mettre un terme à sa carrière. Elle a vingt-huit ans. Celle qui a surmonté les vexations de sa mère lui répétant durant l’enfance qu’elle était laide est sur le point de ne plus pouvoir danser, sa raison de vivre. Mais une fois encore, la volonté de la danseuse va faire mentir les médecins. Grâce au soutien d’un psy, elle comprend cependant que l’obsession de la perfection risque de la briser à nouveau. Elle qui danse depuis l’âge de dix ans à peine prend conscience qu’elle doit se recentrer sur soi. Aurélie Dupont écrit : « Je songe à l’Élue du Sacre du printemps, qui doit danser jusqu’à la mort pour que le printemps renaisse, et je saisis enfin le sens profond du symbole. » L’enjeu du livre n’est donc pas seulement d’évoquer la danse, la technique, les œuvres au répertoire, les partenaires, les coulisses, ce qu’elle fait avec précision, mais également de parvenir à posséder la clé de soi, pour enfin vivre harmonieusement sa passion dévoratrice. Ce que Nietzche nomme « la musique en soi ».

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On ne lâche rien

La liberté se paie cher, surtout quand on est une femme. Aurélie Dupont ne cache rien des rapports tendus avec les chorégraphes géniaux mais tyranniques. Ainsi finit-elle par remettre à sa place William Forsythe, surnommé « Billy ». Aurélie Dupont ne mâche pas ses mots : « Je suis une étoile de l’après-Noureev et je suis fière de l’être. J’appartiens à une génération qui s’est faite toute seule. Je suis loyale envers ma direction : pendant des semaines, j’ai supporté les attaques de Billy en restant soumise et disciplinée. Mais il a dépassé les limites. » La leçon est qu’il ne faut rien lâcher. Rien. Dix ans plus tard, Forsythe lui présentera ses excuses lors d’un gala à Saint-Pétersbourg. Elle subit, entre autres, les vexations misogynes et dégradantes de Roland Petit. Ce dernier finit par lui dire : « Mais vous n’êtes pas sexy, faites quelque chose, touchez-vous ! ». Aurélie Dupont ramasse ses affaires et claque la porte. Elle ne reviendra jamais. On pense à Brigitte Bardot qui n’hésita pas, sur le tournage de La Vérité, à gifler Henri-Georges Clouzot, réputé pour humilier ses actrices, à commencer par sa femme, Véra. Entre les bravos du public, les cabales des partenaires, les blessures à surmonter, la folie brûlante de l’art, il y a parfois quelques rencontres lumineuses comme celle avec Pina Bausch. L’ex-danseuse étoile lui consacre un chapitre entier. Et c’est mérité, car la chorégraphe, en particulier d’un incomparable Sacre du printemps, l’a délivrée. Mieux : elle l’a sauvée. Un jour, Pina Bausch lui avoue qu’elle l’a choisie pour « sa fragilité ». « Je te vois : tu te fais mal quand tu danses, lui dit-elle. Mais ta force ne m’intéresse pas. Ce que je veux voir, ce sont tes faiblesses, ta fragilité et ta sensibilité. »

Ces confessions sans truquage racontent aussi plusieurs décennies qui ont changé le cours de cet art majeur. Elles raviront les afficionados. Mais l’essentiel est certainement la leçon à la fois existentielle et philosophique qu’il convient d’en tirer.

Aurélie Dupont, N’oublie pas pourquoi tu danses, Albin Michel.

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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