Le roman noir français, ces temps-ci, se fait ethnologique. Le lecteur a pu, par exemple, découvrir des enquêtes l’amenant de la Laponie avec Olivier Truc à la Mongolie avec Ian Manook. Louis Sanders, lui, s’est fait depuis quelques années, le spécialiste d’une tribu tout aussi exotique, celle des Anglais en Dordogne. À la recherche d’une certaine douceur de vie française et d’un immobilier avantageux, ils ont créé au coeur du Périgord de véritables communautés dont Sanders a raconté les heurs et malheurs dans des romans comme Février ou Passe-temps pour les âmes ignobles. L’auteur sait de quoi il parle. À l’époque où il s’appelait encore Elie Robert-Nicoud, il était parti faire ses études à Cambridge, avait épousé une Anglaise et était lui aussi venu vivre en Dordogne où il écrit désormais ses romans, fait des traductions et, à l’occasion, est pompier volontaire.
Dans Auprès de l’assassin, son dernier opus en date, Louis Sanders nous raconte l’installation pour le moins malheureuse au coeur du Périgord noir (qui n’aura jamais autant mérité son nom), de Mark et Jenny et de leur petit garçon Jimmy. Leur rêve est celui de temps d’autres de leurs concitoyens: « Après avoir vendu leur maison en Angleterre pour une somme importante, ils avaient décidé de restaurer une vieille bâtisse en France, en Dordogne de préférence, et de louer aux vacanciers. Pour cela, ils avaient chose une ferme avec une grange immense dans laquelle on aménagerait des chambres. »
Evidemment, le rêve va virer au cauchemar, mais tout le talent de Sanders, dans Auprès de l’assassin, est que ce cauchemar avance au ralenti, par petites touches qui crée une atmosphère de plus en plus oppressante, d’autant plus que le couple ayant mis ses économies dans ce projet, a brûlé tous ses vaisseaux. Jenny, d’emblée, n’aime pas cette maison construite autour d’une cheminée du XVème siècle: en proie à des hallucinations éveillées, elle voit tourner autour du feu, dans des fantasmagories grotesques et inquiétantes, des gnomes ricaneurs directement sortis d’une danse macabre.
Et puis il y a les voisins. Les voisins à la campagne peuvent se révéler tout aussi épouvantables que ceux des grandes villes. Loin d’une solidarité accueillante, ils se montrent franchement hostiles à ces néo-ruraux qui parlent un français hésitant. Et alors que Mark et Jenny aspiraient au calme pour leur future maison d’hôte, ils s’aperçoivent qu’il faut vivre avec le bruit régulier d’une trayeuse électrique ou des épandages de fumier, que les commerçants et entrepreneurs du cru les volent un peu sur les fournitures et que les autres Anglais installés dans la région, appartenant à une classe sociale très supérieure à la leur, ne sont pas particulièrement cordiaux pour ces nouveaux arrivants. Au sein même de sa famille, Mark voit aussi que les choses commencent à aller de mal en pis. Jimmy est malheureux comme les pierres dans son nouveau collège et Jenny ne cesse de répéter qu’elle veut s’en aller.
On les accuse dans le village de tous les maux, notamment quand le chien qu’ils ont adopté fait des incursions sanglantes dans le poulailler de Marc et Georgette, un couple tout droit sorti de Délivrance dont on ne sait pas s’ils sont mari et femme, frère et soeur ou mère et fils. Quand l’automne arrive, un automne évidemment pourri, on retrouve Georgette noyée dans la rivière au bas du jardin. Marc accuse les voisins anglais de l’avoir poussée au suicide à cause du chien. D’autres, à mots couverts, disent que Marc aurait très bien pu s’être débarrassé de Georgette. Ce qui n’est rassurant ni dans un cas ni dans l’autre pour notre famille de plus en plus cernée par la peur.
Il y a finalement du Simenon des « romans durs » chez Louis Sanders dans sa manière de rendre avec une grande économie de moyens la vérité d’un milieu et dans sa façon de nous amener insensiblement à la chute inéluctable de personnages ordinaires. Avec en plus, l’air de rien, une ironie assez cruelle dans la peinture d’un certains choc des cultures et de cette naïveté très contemporaine qui consiste à croire que la campagne est un lieu où le bonheur est forcément dans le pré: « Soudain, tout le dégoûtait, la couleur des pierres, les outils agricoles abandonnés ici et là comme dans une casse. Il était en proie à la déception, pas tout à fait à la colère. Il se disait qu’il s’était trompé. Sur ce qu’il faisait ici, sur ces voisins. Sur toute cette vie bucolique qui sentait la merde par moments. »
Auprès de l’assassin de Louis Sanders (Rivages/Noir, 2016)
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