Vivant, Gandhi remercierait sans doute son assassin. Jadis prophète, sa mort en a fait un saint. Il aurait pu diriger l’Inde. Il ne fut que résistant et « pacifique ». Pour la postérité, c’est mieux. On dit que le pouvoir salit les mains ; en Occident, il nous donne aussi la nausée. Et tous ceux qui l’ont exercé n’ont pas connu cette gloire posthume.
Jadis icône, Lech Walesa a appris au monde qu’on pouvait être prisonnier d’une junte militaire sans être progressiste ; ce qui était une évidence pour la résistance catholique polonaise mais pas pour les intellectuels occidentaux qui l’avaient soutenue. Aung San Suu Kyi, aujourd’hui ministre des Affaires étrangères de son pays, fut canonisée d’un Nobel pour sa résistance aux Jaruzelski Birmans. Chimère céleste qu’on opposait aux bruits de bottes, son étoile a aujourd’hui pâli.
Etoile filante
Actuellement, le pouvoir réprime la minorité musulmane. Une centaine de milliers de Rohingyas ont fui au Bangladesh, qui n’est pourtant pas une terre d’exil. Voici plusieurs années que les mahométans sont mis au ban, au même titre que la minorité chrétienne des Karens. Aung San Suu Kyi a passé dix ans en résidence surveillée. Elle a aussi vu le sang de ses partisans couler. Au bénéfice d’un accord de « cogestion », elle partage le pouvoir avec les généraux, en tant que chef du parti majoritaire qu’un artifice constitutionnel empêche d’être hégémonique.
Or, nul ne cogère impunément. En plus de manger dans la main des généraux, Aung San Suu Kyi voit dans l’indignation planétaire un « iceberg de désinformation ». Elle parle de « terroristes ». Au XXIe siècle, Alexandre Soljenitsyne avait presque perdu son statut d’icône, coupable d’avoir trop aimé les siennes, pour peu qu’elles fussent orthodoxes et virginales. A sa mort en 2008, Jean-Luc Mélenchon s’étranglait qu’on ait « couvert d’honneurs » cet homme « de droite, limite antisémite ». Beurk. Comme les Russes blancs en exil, Aung San Suu Kyi n’a pas choisi de brûler ce qu’elle a adoré. Fille de général, tribun nationaliste de surcroît, elle se méfie par atavisme des idéaux dissolvants de l’Occident ; ancien colonisateur qui a choisi d’en faire une héroïne. Avant qu’il n’en fasse une traîtresse.
Mandela s’est révélé aussi grand une fois au pouvoir que le mythe qui l’entourait en prison; Aung San Suu Kyi c’est l’inverse. https://t.co/oghsT2xH5u
— pierre haski (@pierrehaski) 6 septembre 2017
.@Enthoven_R sur Aung San Suu Kyi : « C’est un peu comme si Nelson Mandela était devenu Milosevic en accédant au pouvoir » #Rohingyas #E1Matin pic.twitter.com/vtpa3jJqLI
— Europe 1 (@Europe1) 6 septembre 2017
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