Il fut un temps où point n’était besoin de mangas pour faire voyager les jeunes lecteurs. Accroître leurs connaissances et stimuler leur imagination. Leur faire aimer leur pays et ses valeurs, sans complexe ni fausse honte…
Il est vrai que, sous la Troisième République, la littérature jouait encore pleinement son rôle. L’école aussi, encore épargnée par la théorie du genre, et dont la mission première était de transmettre un savoir.
Las, cette époque est bien révolue. Comme celle où les mots conservaient tout leur sens. Ainsi le Tour de France. La course cycliste, célèbre dans le monde entier, ne débordait pas, comme aujourd’hui, les frontières de l’Hexagone pour associer d’autres pays – sans doute une manière de faire allégeance à l’Europe dont l’union, tant prônée, est loin de rallier tous les suffrages.
Un manuel scolaire d’envergure
Le Tour de France… Comment n’évoquerait-il pas « Le Tour de la France par deux enfants », le best-seller d’Augustine Tuillerie publié en 1877 ? Ce manuel de lecture à l’usage des écoliers du cours moyen connut, dès sa sortie, une faveur foudroyante et durable. Les écoles, tant laïques que religieuses, se l’arrachent. Succès durable : quelque sept millions d’exemplaires vendus en 1914, en dépit de quelques modifications imposées par la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Autant dire que des générations ont appris à lire dans ses pages dont les deux-cents illustrations préfigurent les bandes dessinées. Ont acquis des notions d’histoire et de géographie et aussi de civisme, de sciences, de morale et d’art. Sans compter la fierté d’être Français. Ce qui, convenons-en, a, par les temps qui courent, de quoi le rendre suspect.
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Or voici que ce récit du périple de deux orphelins à travers les provinces françaises et leur fructueux particularisme, récit souvent copié, interprété, adapté avec plus ou moins de bonheur, revient au goût du jour. Une nasarde à la vogue de la déstructuration actuelle. La raison ? une passionnante biographie de son auteur (ma plume renâcle à écrire auteure) due à Michèle Dassas, Augustine Tuillerie, sous-titrée L’Histoire extraordinaire de l’institutrice aux millions d’élèves. Une plongée fascinante dans la vie et l’œuvre d’une femme hors du commun. Une existence contrastée, faite d’épisodes tragiques et de moments de bonheur intense, jusqu’à la reconnaissance publique d’un talent qui excède le seul domaine littéraire.
Rien ne prédisposait Augustine Tuillerie à un destin aussi contrasté. Née en 1833 à Laval, elle eût pu couler les jours sans histoire d’une petite bourgeoise provinciale traversant les soubresauts de l’Histoire, dont deux conflits sanglants, celui de 1870 et celui de 1914. Il n’en fut rien. On se gardera de dévoiler les méandres d’une intrigue passionnante de bout en bout, Le récit de sa vie tient, en effet, du roman policier, avec tentatives de meurtre, ses fausses identités et ses fausses pistes déroutantes. Il relève du roman d’aventures, dans tous les sens du terme. Mais il revêt aussi les aspects du traité de morale, du roman psychologique, de l’évocation historique, du roman sentimental, de l’apologue, du conte philosophique. L’exaltation d’une héroïne que son amour des enfants, de sa patrie et de la littérature conduisit, en dépit de tous les aléas, au faîte de la renommée, en fait une manière de roman initiatique. Autant de facettes conférant à ce livre sa densité et ses multiples centres d’intérêt.
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Une biographie digne de son sujet
Si cette biographie se révèle aussi captivante, empoignant dès ses premières pages le lecteur pour maintenir jusqu’au bout son intérêt, c’est grâce au talent de Michèle Dassas. Un talent reconnu qui lui valut, en 2021, pour l’ensemble de son œuvre, la médaille d’or du Mérite littéraire décernée par l’Association Arts et Lettres de France. Comptant à son actif une bonne quinzaine d’ouvrages, dont neuf romans, elle a fait ses preuves dans le domaine de la biographie : deux de ses ouvrages consacrés l’un à Jeanne Chauvin, la première des avocates, l’autre au peintre Auguste Renoir ont été tour à tour récompensés. Outre la fluidité et l’aisance d’un style séduisant, l’art de camper les personnages, et de conduire le récit avec alacrité, ce qui retient et attache, ici, c’est le sérieux de la démarche. Michèle Dassas apporte la preuve qu’il est possible de chanter le los d’une héroïne sans verser dans un féminisme devenu aussi outrancier que banal. Elle s’appuie sur une documentation des plus fournies. Excelle à brosser le tableau d’une époque, d’un milieu, de tout l’entourage d’une héroïne qui s’inscrit à contre-courant de notre époque exaltante : Augustine Tuillerie, alias G. Bruno, discrète allusion à Giordano Bruno, n’écrivait-elle pas, en 1916, « la grande force d’une nation réside dans l’union de tous » ? Un beau sujet de méditation pour certain monarque infatué trônant à l’Élysée.
Michèle Dassas, Augustine Tuillerie. Préface de Jean-Pierre Rioux. Ramsay, 326 p.
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