De la traque des « fausses nouvelles » à celle du « mâle blanc », le plan du gouvernement pour l’audiovisuel public a le mérite d’exister mais il a de quoi faire frissonner…
La maîtrise de l’information et de la communication constitue l’un des axes principaux du pouvoir macronien : outil avéré de sa conquête, il a été clairement et ouvertement identifié comme le moyen indispensable de son maintien, de son exercice et, suppose-t-on, de son désir de reconduction. Et le moins qu’on puisse dire c’est que, pour garantir ce contrôle, l’exécutif LREM ne lésine pas sur les chantiers : outre la rocambolesque croisade d’Etat contre les fake news et l’obsessionnel front russe de la désinformation, il faut compter, sur le front intérieur (car l’ennemi s’infiltre partout), avec certains traits de la réforme de l’audiovisuel public, présentée dans ses grandes lignes, lundi 4 juin, par la ministre de la Culture Françoise Nyssen.
La « honte de la République » et le « scénario de l’anticipation »
Quiconque s’efforce de vouloir réformer l’audiovisuel public mérite un respect de principe, tant la tâche est ardue, les réticences et obstacles innombrables et les pesanteurs humaines, financières, idéologiques, matérielles nombreuses. Dans une phrase qui n’a jamais été confirmée par l’Elysée mais qui est restée dans toutes les têtes comme représentative de la conception macronienne du problème, l’audiovisuel public serait « la honte de la République » pour le chef de l’Etat. Partant de ce constat, on ne peut vraisemblablement que progresser.
Que cette réforme soit portée par la personnalité la moins à l’aise du gouvernement en termes de communication n’est pas le moindre des paradoxes. Mais l’ancienne responsable des éditions arlésiennes Actes Sud, s’est livrée à l’exercice et a présenté ce qui a été intitulé, à la manière d’une superproduction hollywoodienne, le « scénario de l’anticipation ». Cette femme de culture aux origines belge et scandinave, particulièrement mal à l’aise avec l’esprit de brio, d’esbroufe et avec la violence qui caractérise la politique nationale, et qui se définit avec justesse comme quelqu’un qui expérimente les choses dans le temps de l’action plutôt que dans les joutes verbales si chères aux élites parisiennes, peine depuis quelques temps.
Françoise Nyssen a le mérite d’exister
Inconfortable à l’oral, l’héritière du fauteuil de Malraux et dans un autre style plus clinquant mais non moins reconnu, de Jack Lang, Françoise Nyssen a du mal à s’imposer dans sa propre administration. Il faut dire que cette dernière a pris l’habitude de regarder valser les ministres sur ce portefeuille aussi prestigieux qu’impuissant, tant et si bien que, comme le déclarait le philosophe et ancien directeur des Beaux-Arts de Paris, Yves Michaud, au micro de France Culture : « Quand le cocher est inexistant ou change à chaque picotin, ce sont les chevaux qui dirigent », dénonçant de fait la bureaucratie régnant au ministère.
Dans cet environnement perclus d’egos surdimensionnés et de beaux parleurs, les déclarations se succèdent pour dénigrer son style ou son action, de la part d’une convergence de fâcheux assez volontiers unis pour lui savonner la planche. Pourtant, et c’est bien là le paradoxe, elle est peut-être la première depuis longtemps à porter avec conviction, et comme elle l’a fait toute sa vie à travers son activité éditoriale, un vrai projet de politique culturelle clairement énoncé. Peut-être les acteurs du secteur en avaient-ils perdu l’habitude, eux qui pourtant passent leur temps à se plaindre des approches énarchiques et comptables… On peut penser ce qu’on veut de son ancienne ligne éditoriale ou de son projet culturel, mais le fait est qu’il a le mérite d’exister. Et l’on s’est assez plaint de la disparition pathétique de la politique culturelle depuis des années pour ne pas se féliciter qu’il en existe de nouveau une. Loisible à chacun de se positionner par rapport à cette ligne. En l’occurrence : redynamiser la démocratisation culturelle, prendre en compte pour cela l’irruption du numérique dans toutes les pratiques culturelles, travailler sur un plan local renforcé, faciliter l’accessibilité (à travers, par exemple, l’épineuse question de l’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques), et, surtout, relancer les liens entre l’Education nationale et la culture afin de stimuler le développement des arts à l’école, de toucher les publics jeunes.
Vraies nouvelles, bonne nouvelle ?
On le voit, cette ligne culturelle fait sens. On la retrouve avec logique dans les grandes lignes du projet de réforme de l’audiovisuel public : prise en compte renforcée du numérique, restructuration de l’offre à destination de la jeunesse, renforcement des médias de proximité. Ce qui a été immédiatement critiqué, comme de bien entendu, par les syndicats, semble être au contraire précisément une bonne chose : ceux-ci ont dénoncé l’absence de moyens chiffrés pour atteindre les objectifs fixés, alors qu’il paraît plutôt sain de se fixer d’abord des objectifs, ce qui est le sens même de la définition d’une politique culturelle, avant de chercher par quels moyens on pourra les atteindre. Normalement, la politique, c’est cela. Les questions financières et de gouvernance seront donc abordées ultérieurement d’ici la fin 2018, étant entendu qu’il faudra de toute façon que les équipes acceptent d’évoluer, le défi numérique contraignant de facto à travailler en synergie et selon des logiques nouvelles, transversales, thématiques, ce qui implique naturellement à terme des fusions/collaborations renforcées.
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Là où les choses se gâtent, c’est lorsqu’on pénètre dans la matrice idéologique du projet. Françoise Nyssen évoque la création d’une plateforme commune de décryptage des « fausses nouvelles », sorte de pendant étatique des Decodex et autres diseurs autoproclamés de Vérité. Il y a, on le sait, une véritable obsession de cet exécutif pour les « fake news » (dont le terme a désormais été modifié dans le projet de loi les concernant et dans le discours gouvernemental, car l’on s’est soudain avisé de ce qu’il était tout de même l’émanation directe du cerveau de Donald Trump, ce qui faisait désordre…).
« L’homme blanc de plus de 50 ans, vous vous en souvenez ? »
Il sera donc proposé d’avoir bientôt directement accès à la vérité d’Etat, à travers des medias publics qui diront le Bien, le Mal, le Vrai, le Faux. Enfin, qui le diront encore plus qu’ils ne le disent déjà, appuyés sur le leurre faussement neutre du fact-checking, qui n’en peut plus de phagocyter le journalisme, et qui n’empêche nullement la mise en scène partiale des faits. Pas certain que cela soit très attractif… A noter que ce décollage disruptif se fera si possible sans « hommes blancs de plus de 50 ans » (oui, encore eux), décidément autre obsession maniaque de cet exécutif, et qui aura valu un clin d’œil appuyé de la ministre à la présidente de France Télévisions Delphine Ernotte, lesquelles demeurent tout de même deux femelles blanches de plus de 50 ans. « Delphine, tu as dû te sentir bien seule lorsque tu portais un constat, à la fois évident et courageux. Tu sais : ‘l’homme blanc de plus de 50 ans’. Vous vous en souvenez ? »
Parallèlement, Françoise Nyssen s’est soudainement lancée dans une curieuse tirade en forme de credo au sujet de ces trop nombreux Français « hautement réactionnaires » et dont il incombe aux nouveaux médias publics de « changer les mentalités » en imposant à travers les programmes une certaine vision du pluralisme (visiblement pas le pluralisme politique, donc…). Au moins les choses sont-elles annoncées avec clarté. La ministre aime à citer fréquemment Gramsci lorsqu’il oppose l’ « optimisme de la détermination » au « pessimisme de la raison ». Visiblement, l’argument gramscien, selon lequel pour maîtriser le pouvoir politique il faut d’abord s’assurer de la conquête culturelle et médiatique, n’est pas non plus tombé dans l’oreille d’un.e sourd.e. On ne saurait mieux dire qu’avec cette conception, c’est le grand bond en arrière garanti vers une sorte d’ORTF numérique postmoderne, destinée à façonner l’esprit des citoyens-spectateurs, contribuables de la redevance et électeurs maladroitement convoités.
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