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Audiovisuel public: la grande méfiance des chercheurs

Les scientifiques sérieux désertent les médias publics idéologisés


Audiovisuel public: la grande méfiance des chercheurs
Un studio d'enregistrement de la maison de la Radio, à Paris, décembre 2016 © Mollona / Opale.

Une invitation à Radio France, une demande d’interview de la part du service public de la télévision? Les scientifiques devraient sauter de joie, ravis de partager leurs travaux et leur passion. En pratique, c’est souvent l’appréhension et le doute qui dominent. Non sans raison, même si le traitement sérieux du dossier Covid laisse espérer une amélioration. Grande enquête.


Il y a le meilleur. Un après-midi de janvier 2020, pendant une heure, deux astrophysiciens parlent de la forme de l’univers. Marc Lachièze-Rey et Jean-Philippe Uzan, tous deux directeurs de recherche au CNRS, expliquent, développent et nuancent. L’animateur de l’émission « La méthode scientifique », Nicolas Martin, se garde bien de couper ses invités. L’espace d’une émission, la voiture de l’auditeur s’élargit aux dimensions du cosmos. Bienvenue sur France Culture.

Et puis il y a le pire. Un matin de novembre 2017, le chroniqueur de « L’édito carré », dans la matinale de France Inter, présente comme une percée conceptuelle révolutionnaire la théorie farfelue développée par l’anthropologue Priscille Touraille, selon laquelle les femmes seraient plus petites que les hommes parce que le patriarcat les aurait privées de viande au fil des millénaires. Sur la page YouTube de l’émission, les auditeurs hurlent au scandale : « la pseudoscience se met au service de la bêtise », des « affirmations qui ne reposent sur rien », « vous ne connaissez RIEN à rien à la biologie », etc. Las, RFI, à son tour, va faire état des thèses de Priscille Touraille, déjà présentées en 2014 dans un documentaire diffusé sur Arte, sans aucune distance critique. Un incident isolé ? « Hélas, non », déplore Thomas Durand. Cofondateur de l’Association pour la science et la transmission de l’esprit critique (Astec, plus connue par sa chaîne YouTube de vulgarisation, « La Tronche en biais »), il a listé pendant deux ans les incursions de l’audiovisuel public dans la jungle du paranormal et de la science alternative. Best of.

On peut remplacer les pesticides par de la musique jouée aux plantes (France Inter, le 13 novembre 2017). Les magnétiseurs, c’est du sérieux, ils ont désormais leurs écoles (France 2, 30 janvier 2016). La lithothérapie, ou l’art de soigner par les pierres (plusieurs diffusions en 2017 et 2018 sur France 3). Sortir son double astral de son propre corps, les explications d’un expert (France 2, mars 2017). L’approche quantique de l’aromathérapie (France 3, octobre 2017). Sans parler de la biodynamie, dont le bien-fondé est devenu un postulat sur Radio France et France Télévisions, malgré l’absence totale d’étude digne de ce nom montrant son efficacité.

« Les scientifiques sérieux désertent le terrain des médias »

« Notre liste s’arrête fin 2017, non parce que la situation s’est améliorée, précise Thomas Durand, mais parce que nous manquions de temps pour suivre les programmes ! » Une lettre ouverte de l’Astec aux médiateurs de France Télévisions et de Radio France, en mars 2017, est restée sans réponse. « Elle avait pourtant été relayée par des élus locaux, se désole Thomas Durand. Nous avions été mesurés dans nos critiques. Mon sentiment brut est qu’Arte, qui reste faute de mieux la chaîne de référence en matière de vulgarisation scientifique, diffuse une moitié de contenu impeccable dans ce registre et une autre moitié à mettre à la poubelle. Sur les OGM, par exemple, je n’ai pas souvenir d’une seule émission correcte. »

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Spécialiste reconnu de ce sujet, directeur de recherche au CNRS, Marcel Kuntz est à peu près du même avis. « La plupart des scientifiques qui pourraient parler des OGM ont déserté le terrain des médias, à tel point qu’ils ne sont même plus dans les radars des journalistes, en particulier ceux de Radio France et de France Télévisions. » Alors que des dizaines de millions de consommateurs dans le monde en mangent chaque jour, et que des milliers de tonnes d’OGM débarquent chaque mois en France pour nourrir le bétail, Radio France et France Télévisions campent sur la ligne du principe de précaution, comme si nous étions encore dans les années 1990. Le 10 juin 2020, un groupe de députés Verts allemands a publié une tribune affirmant que les OGM pourraient bien être une « grande opportunité pour développer une agriculture durable ». Aucun média public français n’en a parlé. « Quand l’audiovisuel public parle des OGM, c’est en mal, jusqu’à leur attribuer des défauts incompatibles, pointe Marcel Kuntz. Les semences OGM seraient à la fois stériles après la première récolte et potentiellement disséminantes. Intéressant… » Marcel Kuntz salue toutefois une émission de Guillaume Erner sur France Culture, datée du 30 septembre 2019. Interrogé, il avait pu expliquer en détail les lacunes méthodologiques ahurissantes des travaux publiés en 2012 par le professeur Gilles-Éric Séralini, sur le prétendu caractère cancérigène du maïs OGM. Ce qui n’a pas empêché « Cash investigation » de ressortir Gilles-Éric Séralini en janvier 2019 pour les besoins d’une enquête sur le glyphosate (voir ci-contre à propos de « Cash investigation »).

Pitié, pas le lanceur d’alerte…

« J’étais agréablement surpris par l’émission, ajoute Marcel Kuntz, mais une hirondelle ne fait pas le printemps. Je crois que nous aurons encore beaucoup d’émissions basées sur du pseudocontradictoire », opposant un scientifique prudent et un lanceur d’alerte incompétent, mais tonitruant. « Lorsque je suis invitée à participer à des débats sur Radio France, je demande toujours qui sera face à moi en plateau avant d’accepter », confirme Anne Perrin. Biologiste, spécialiste des champs électromagnétiques, elle a participé à des expertises pour l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Elle est souvent sollicitée sur le thème ô combien médiatique de l’électro-hypersensibilité et, plus récemment, de la 5G. « Schématiquement, d’un côté, il y a une poignée de médecins en France qui dénoncent les ravages des ondes et qui en ont parfois fait un fonds de commerce. De l’autre côté, vous avez l’écrasante majorité des chercheurs, qui continuent à travailler sur les champs électromagnétiques, mais pour qui les téléphones portables, les antennes-relais, le Wi-Fi, Linky et la 5G ne sont pas, ou plus, des sujets de santé publique. Ce n’est pas leur conviction intime : c’est le résultat de milliers d’études convergentes ! Le scientifique qui accepte candidement d’aller le dire à la radio se retrouve face à un lanceur d’alerte d’un faible niveau. Il entend le présentateur dire que “la communauté scientifique est partagée”, ce qui est faux, puis on enchaîne avec un reportage sur un électro-hypersensible présumé, dont les souffrances sont réelles, mais sans lien vérifiable avec les ondes. L’empathie et l’émotion prennent le dessus, il faut ramer pendant toute l’émission, juste pour exposer l’état des connaissances. Beaucoup de scientifiques ne veulent plus jouer le jeu. »

Le syndrome du débat contradictoire sur la Terre plate

Pierre Rabhi interviewé par l'AFP à Salé (Maroc), 7 octobre 2018 © Fadel Senna / AFP.
Pierre Rabhi interviewé par l’AFP à Salé (Maroc), 7 octobre 2018 © Fadel Senna / AFP.

« Cinq minutes pour la Terre plate, cinq minutes pour la Terre ronde, il est temps d’arrêter le contradictoire bidon », tacle Peggy Sastre, journaliste et essayiste spécialisée en vulgarisation scientifique bien connue des lecteurs de Causeur – Peggy la Science, c’est elle… Et selon elle, trop de confrères décrivent le monde non tel qu’il est, mais tel qu’ils voudraient le voir. « Le patriarcat du steak est emblématique. La thèse d’anthropologie de Priscille Touraille datait de 2004. Elle ressort sans vérification au démarrage de l’affaire Metoo parce qu’elle sonne agréablement aux oreilles de ceux que les différences biologiques homme-femme dérangent. » Phénomène classique de biais de confirmation. Les journalistes de l’audiovisuel public, qui sont tout, sauf incompétents, redeviennent des enquêteurs pugnaces quand les experts ne vont pas dans leur sens. Exemple, les engrais et les pesticides de synthèse. Ils ont fait des dégâts, mais ils ont permis des augmentations fantastiques de rendement. C’est une vérité impossible à nier. Les scientifiques qui la rappellent sont ignorés, au mieux (Catherine Regnault-Roger, universitaire, membre de l’Académie d’agriculture), ou suspects de conflit d’intérêts, au pire. Pas seulement dans l’audiovisuel public, du reste. Léon Guéguen, directeur de recherche honoraire de l’INRA, très critique à propos de « Cash investigation » (voir ci-contre), se souvient d’un « déjeuner de deux heures avec deux journalistes de presse écrite qui m’ont posé des tas de questions fort ingénieuses, dont le fil conducteur m’est apparu ensuite : ils cherchaient à me coincer sur des liens d’intérêts avec des industriels ». Pendant ce temps, les ambiguïtés, les approximations méthodologiques et les conflits d’intérêts de Générations futures, association de lutte contre les pesticides de synthèse financée en toute transparence par la filière bio, sont passés sous silence.

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Vint cependant un jour où… Pierre Rabhi (82 ans), qui n’avait forcé personne à prendre au sérieux ses élucubrations poético-agrestes, est passé sans transition du statut de Mahatma Gandhi des courgettes à « controversé » (France Inter, « Secrets d’info », 15 septembre 2018), suite à une enquête publiée en août 2018 par Le Monde diplomatique. Signée de Jean-Baptiste Malet, elle était remarquable, mais elle n’a rien appris dans leur domaine aux agronomes, qui soupiraient d’agacement depuis des années en entendant l’intéressé à la radio.

Poujadisme bac +5

« D’émission en émission, en présentant comme des références des lanceurs d’alerte militants, en ignorant la nuance fondamentale entre risque et danger, en ne distinguant pas lien d’intérêts et conflit d’intérêts[tooltips content= »L’if contient des toxines mortelles et on en trouve dans tous les jardins publics, mais le risque est faible, car personne n’en mange. L’auteur de ces lignes a un lien avec l’AFIS, dont il été membre en 2016 et 2017, mais pas de conflit d’intérêts, car il n’a jamais été payé par l’AFIS, ni pour ce papier ni pour aucune autre tâche. »](1)[/tooltips], les médias sapent la confiance dans l’expertise officielle », déplore Jean Paul Krivine, rédacteur en chef de Sciences et pseudosciences, la revue de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS). « Ce n’est pas délibéré, mais c’est le résultat, et il est préoccupant. » L’Agence européenne de sécurité sanitaire (EFSA) rend un avis négatif sur trois pesticides probablement dangereux pour les abeilles : RFI se réjouit que la Commission européenne les interdise (avril 2013). L’EFSA, en phase avec les autres grandes agences sanitaires, ne trouve pas d’indice d’une toxicité du glyphosate en usage réel : RFI fait état de « nombreux soupçons quant à la fiabilité de l’agence » (24 octobre 2017).

Schématiquement, les secteurs de la recherche qui touchent à l’environnement, aux questions de genre et à la santé des consommateurs sont ceux où la science semble la plus maltraitée, au point d’enfermer les auditeurs dans une bulle de fragiles certitudes. Resté insensible au courrier de l’Astec, le médiateur de Radio France a sommé Jacques Monin de se justifier, pour avoir invité Jean-Baptiste Malet dans « Secrets d’info ». Les auditeurs n’étaient pas contents et ils le faisaient savoir. « Le journalisme, qui est censé être le cinquième pouvoir [sic], laisse les politiques bien tranquilles quand ces crapouilles donnent le droit à des multinationales de nous empoisonner (vote Monsanto) », s’emportait Stéphan, un auditeur remonté contre Jacques Monin, dans un courrier au médiateur. Tous vendus et tous pourris, version diplômée, puisque les auditeurs de Radio France sont supposés l’être. Mais que Stéphan se rassure, l’inconfortable parenthèse s’est refermée. Le 23 octobre 2019, Pierre Rabhi était de retour sur France Culture…

La bouffée d’air frais du Covid

Par contraste, le traitement de la pandémie de Covid sur l’audiovisuel public laisse une impression de sérieux indéniable. Pendant des semaines, Radio France et France Télévisions ont suivi la science en train de se construire : intuitions, tests, échecs, espoirs, études, données, rivalités, egos encombrants. Didier Raoult n’a été ni censuré ni porté aux nues. Le 13 mars 2020, l’éditorialiste de France Inter Bruno Donnet s’indignait même d’une publicité vantant l’efficacité de l’homéopathie contre le coronavirus. Elle est effectivement nulle, puisque, conformément à la réglementation, les comprimés d’homéopathie ne contiennent aucun principe actif. Mais c’était déjà le cas le 21 janvier 2019, lorsque France Inter a donné complaisamment la parole à des homéopathes, dans l’émission « Grand bien vous fasse » ! Autrement dit, pendant le Covid, l’audiovisuel public a éteint des braises sur lesquelles il souffle d’ordinaire. Le 7 mai, France Inter dénonçait les « délires complotistes » de Juliette Binoche. L’actrice avait repris sur les réseaux sociaux la thèse décoiffante selon laquelle le coronavirus serait provoqué par la 5G, dans le cadre d’un complot de la tech et des « Big Pharma » visant à vendre des vaccins. Mais cela n’empêche pas Radio France de diffuser nombre d’âneries sur (ou plutôt contre) la 5G. Sous couvert d’investigation ou de contradictoire, on entend fréquemment des militants marteler qu’on ne sait pas. Ou plutôt, qu’on sait très bien qu’il y a des vérités cachées par les puissants. Antienne distillée le 23 juillet 2020 sur France Inter – « La 5G va-t-elle tous nous rendre fous ? » – et le 17 novembre 2019 sur France Culture – « Des ondes électromagnétiques, pour le meilleur et pour le pire ? ». Ce jour-là, Annie Sasco, ex-directrice de recherche à l’Inserm devenue militante anti-ondes, a soutenu que la 2G et la 3G provoquaient des tumeurs au cerveau[tooltips content= »L’Institut d’épidémiologie du cancer du Danemark a étudié les dossiers de 358 403 abonnés, de 1990 à 2007, sans trouver aucun lien entre l’usage du téléphone et les 10 729 tumeurs recensées dans l’échantillon. Les spécialistes noteront que l’audiovisuel public n’a jamais diffusé de sujet sur un éventuel surcroît de tumeurs autour de ses puissants émetteurs, à commencer par celui de la tour Eiffel… »](2)[/tooltips] et qu’avec la 5G, les risques seraient « de même nature, mais vraisemblablement plus marqués ». Juliette Binoche divague, certes. Mais elle le fait sur son compte Instagram, pas dans un studio du service public.

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Quand la télé publique prend les chercheurs pour des poires

Le 18 juin 2019, « Cash investigation » diffusait une émission intitulée « Multinationales : hold-up sur nos fruits et légumes ». Elle a peut-être marqué l’esprit du grand public, mais elle a sûrement ruiné le crédit de l’émission auprès des spécialistes.

"Multinationales: hold-up sur nos fruits et légumes", épisode de "Cash investigation" diffusée sur France 2 le 18 juin 2019. Capture d'écran.
« Multinationales: hold-up sur nos fruits et légumes », épisode de « Cash investigation » diffusée sur France 2 le 18 juin 2019. Capture d’écran.

À la sixième minute du reportage, la journaliste part en exploration à la bibliothèque de l’Académie d’agriculture. La caméra la suit dans les rayons. Voix off : « Entre deux vieux traités d’agronomie, nous tombons sur une pépite, la table de composition des aliments d’il y a soixante ans », donnant leur teneur exacte en vitamines et en minéraux. « Alors on a eu une idée toute simple », reprend la voix off. « Comparer ces vitamines et ces minéraux avec ceux d’aujourd’hui. […] Nous découvrons un phénomène d’une ampleur méconnue : les fruits et les légumes se sont vidés d’une partie de leurs vitamines ! » Poussées par l’appât du gain, les multinationales auraient mis sur le marché des variétés à croissance rapide et conservation longue, insipides et pauvres en nutriments. « Nous avons examiné un par un les 70 fruits et légumes les plus consommés par les Français. […] Résultat, partout, c’est la déconfiture ! » s’exclame la voix off, alors que la caméra zoome sur un grand tableau. On aperçoit des chiffres. Fer : – 48 % ; calcium : – 16 % ; vitamine C : – 27 %…

Assis devant sa télévision, Léon Guéguen, directeur honoraire de recherche à l’INRA, membre de l’Académie d’agriculture, se crispe dans son fauteuil. Et pour cause. C’est lui qui a transmis à « Cash investigation » la fameuse table de composition des aliments (en réalité, deux tables, de 1947 et 1981), dont il avait parlé dans La Revue de l’Académie d’agriculture en 2017. 

Ce n’est pas la mise en scène de la bibliothèque, conforme aux canons de la télévision, qui l’a mis en colère, mais le fond du discours. La baisse généralisée des teneurs en nutriments que « Cash investigation » dit avoir constatée n’existe pas. Son article de 2017 visait précisément à l’expliquer, suite à une première émission de France 5 diffusée à l’automne 2016. « Il y a eu des baisses, explique l’agronome, mais aussi des hausses. » Léon Guéguen avait relevé + 27 % de vitamines C dans les pommes de terre et + 50 % de fer dans les poireaux, entre autres. « Certaines évolutions sont d’ailleurs insignifiantes en termes de nutrition, compte tenu des faibles quantités concernées », renchérit l’agronome. Plus ou moins 35 % sur presque rien, la belle affaire. Autres biais connus de tous les spécialistes, la teneur en nutriments pour une même variété peut changer considérablement selon l’échantillon. Sans parler de la difficulté à comparer les 70 fruits et légumes les plus consommés à plus d’un demi-siècle d’écart, compte tenu des changements dans la consommation. Kiwi, pamplemousse, avocat, pomme Pink Lady et litchi étaient absents des tables françaises, il n’y a pas si longtemps. « J’ai demandé à “Cash investigation” de me communiquer son fameux tableau, je l’attends toujours… », ajoute Léon Guéguen. Il a beaucoup de mal à accorder à l’émission le bénéfice du doute, car il avait accordé une interview de trois heures à l’équipe de tournage, où il parlait de toutes ces difficultés méthodologiques. Rien n’a été gardé de ses propos. Et pour cause, ils dynamitent le prétendu scandale vendu par Cash Investigation.

Il y a encore plus désinvolte. « Cash investigation » est allé interviewer un chercheur texan, qui campe depuis des années sur des positions déclinistes, Donald R. Davis. Il n’a pas été difficile à trouver, Léon Guéguen le citait dans son article. Dans l’émission (11’20’’), la journaliste dit au chercheur américain : « En France, nous n’avons trouvé aucun scientifique pour nous parler de cette baisse » ! Peut-être parce qu’elle n’existe pas ?

Donald R. Davis a une autre explication, qui cadre mieux avec le parti pris de l’émission : « C’est parce que c’est assez embarrassant pour eux. Ils ont toujours cherché à augmenter le rendement. » Avant de tourner, les enquêteurs de télévision passent des dizaines d’heures à se documenter. Ont-ils vraiment pu rater le Science & Vie de mars 2016, disponible en deux clics sur le web ? Mathilde Causse, du laboratoire Génétique et amélioration des fruits et légumes de l’INRA, à Avignon, y déclare : « La teneur en vitamine C des pommes diffère au moins d’un facteur 10 suivant la variété, l’exposition du fruit, la date de récolte et la durée de conservation… et ça n’a pas changé depuis les années 1950. […] Nous ne pouvons pas conclure que la teneur en nutriments est réduite dans les variétés modernes. Certaines, autrefois, étaient très riches, mais d’autres déjà très pauvres. » Léon Guéguen a publié une lettre ouverte de protestation à l’été 2019, ainsi qu’une tribune dans La France agricole. Il a écrit à « Cash investigation », en vain. Le sujet sur le hold-up des multinationales a été rediffusé tel quel en novembre 2019, toujours sur France Télévisions.

Septembre 2020 – Causeur #82

Article extrait du Magazine Causeur




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