Longtemps considéré comme un débile profond, un vulgaire amuseur, un poujado-réactionnaire, un abrutisseur des masses, Michel Audiard connaît une rédemption aussi tardive que mercantile. Bon nombre d’éditeurs, de producteurs et de diffuseurs se lancent donc dans cette entreprise à la finalité marloupine. Vous n’échapperez pas à cette déferlante. A la télévision, chaque semaine ou presque, Maigret et l’Affaire Saint-fiacre, Le Marginal, Un taxi pour Tobrouk ou Mortelle randonnée garantissent un audimat comac. Gabin, Belmondo, Ventura et Serrault en têtes de gondole, ça rassure la ménagère de plus de 50 ans. Mais comment résister à l’éloquence old-school du p’tit cycliste ? Pour apprécier à sa juste valeur la prose du poète de Dourdan et nous éclairer sur certaines de ses formules expéditives, Philippe Durant avait dégainé son «Petit Audiard illustré par l’exemple » en 2011.
Les profondeurs de la langue audiardesque y étaient décortiquées à l’usage des caves. Le cador du box-office avait coutume de dire que, faute d’imagination, il avait des lectures. « J’ai tout piqué » comme il l’affirmait trop souvent pour qu’on le croie. Car, derrière les bons mots d’Audiard, il y a une culture maousse, une boulimie de savoir(s) qui feraient rougir de honte nos « intellectuels » médiatiques. On trouve dans Audiard, Céline le maître vénéré mais aussi Rimbaud, Prévert, Hugo, Musset, Bossuet, Apollinaire, etc… C’était une époque, les années 60-70, où le cinéma avait des Lettres. Dans le recueil de cet étymologiste rigolard, vous appreniez l’origine des expressions aussi chantantes que « BSA (extra-piste) », « mêlé-casse », « chez tonton », « fly-tox », « biribi », etc… Surtout, vous voyagiez dans des contrées exotiques, certaines imaginaires, d’autres empruntées au vocabulaire des hotus de la remonte ou des corps expéditionnaires.
Pour cet irréductible du XIVème, celui qui fit un reportage sur la Chine de Tchang Kaï-chek sans quitter son arrondissement, le voyage ne pouvait être qu’intérieur et le moyen de transport supersonique, les mots of corse. Durant récidive en 2015 accompagné, cette fois-ci, du fils du dialoguiste à casquette, le mystérieux Bruno M. C’est de la dynamite. Les deux spéléologues ont déniché 500 répliques inédites. Alléluia ! Que cette langue est belle, à la fois populaire et aristocratique, joufflue et cristalline, outrancière et si légère. Ces pépites proviennent de scènes coupées. « Ce ne sont ni des scènes mauvaises ni des brouillons mais des scènes qui n’ont pas leur place dans la narration […] Or si la pellicule s’est envolée, les écrits restent » explique Philippe Durant dans sa préface. Fantastique travail de mémoire et une cure de jouvence pour les nombreux fans du cinéma à papa. Appréciez le jet puissant et libérateur de l’artiste :
« Mon petit Simon, vous connaissez ma position : en dessous de 50 000 exemplaires, l’opinion d’une feuille de chou ne m’intéresse pas plus que celle d’une ministre » Noël Schoudler (Jean Gabin) dans Les Grandes Familles.
« Admettons… J’ai dit : admettons. Mais j’irais plus loin : le sens des mots, l’instruction, ça sert à quoi ? A entrer dans les PTT ou dans la gendarmerie » Arsène (Darry Cowl), dans Archimède le clochard
« -Tu lui as parlé des conventions de La Haye ?
-Oui.
-Il t’a dit de te les foutre au cul ?
-Oui.
-Il commence à me plaire ce mec, il est bien. »
Samuel Goldman (Charles Aznavour) et brigadier Théo Dumas (Lino Ventura) dans Un taxi pour Tobrouk.
« Les mauvaises lectures c’est pire que le choléra » Léon Dutilleul (Bourvil) dans Le Passe-muraille
Avec Audiard, vous visiterez Jarnac (le coup), le Vel d’Hiv (celui d’André Pousse), la rue de Lauriston (le numéro 93), vous pourrez même aller jusqu’à Cayenne, Chandernagor, Biên Hoa, Fachoda, Gran Chaco, etc… Quand un type de cinquante kilos a écrit ça : « toute l’encyclopédie de la fiction marloupine sort d’ici : les mines de Phoscao d’Oubangui, le parking géant des Galápagos, le métro de la Cordillère des Andes. Toute la lyre, quoi. » Ceux de 100, la mettent en veilleuse…
Le petit Audiard inédit illustré par l’exemple – Bruno M. et Philippe Durant – Nouveau monde éditions.
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