Durant les affrontements de cet été à Gaza, plus d’une dizaine de défilés, souvent massifs, ont eu lieu à Lille. Cette clameur nordiste ne semble pas avoir tempéré l’ardeur de Tsahal, mais elle n’aura pas été vaine, tant Martine Aubry a l’ouïe fine. En effet, le lundi 6 octobre, son conseil municipal prenait la décision « de mettre en veille temporairement ses relations institutionnelles avec la ville de Safed. »
Safed est une ville de 30 000 habitants au nord-est d’Israël, jumelée à Lille depuis 1988 sur proposition de Pierre Mauroy. Et l’arrêt de ce jumelage figurait en bonne place dans les slogans des manifs de cet été, pétition de France-Palestine à l’appui.[access capability= »lire_inedits »]
Jointe par téléphone, Marie-Pierre Bresson, l’adjointe au maire EELV à la coopération internationale, ne fait pas mystère des causes de cette suspension : « On entend l’émotion des gens qui ont manifesté. Et il aurait été dramatique que la population lilloise n’ait pas réagi à ce qui se passait cet été dans la bande de Gaza. » Et quand on lui demande si cette rupture unilatérale favorise le combat pour la paix, l’élue verte rétorque que ce n’est pas la question du moment : « À force de dire qu’on promeut la paix, on ne fait pas grand-chose. L’objectif de cette mise en veille est de faire bouger les lignes et d’aller plus loin. » Quant au lien entre la ville jumelée et l’opération militaire israélienne à Gaza, il est évident aux yeux de l’adjointe de Martine Aubry : « Bien évidemment, la ville de Safed n’est pas directement impliquée dans les bombardements à Gaza, mais nous considérons que les habitants de cette ville choisissent leurs gouvernants. Et le maire de Safed peut prendre position. » Et d’ajouter, tout en condamnant les tirs de roquettes depuis Gaza : « Il faut se demander pourquoi le Hamas a prospéré dans ce territoire, c’est le vrai sujet ! »
Vu de Lille, sûr que le « vrai sujet » n’est pas la mainmise du Hamas sur Gaza. Sinon la majorité aubryste aurait peut-être réfléchi avant de voter, lors de ce même conseil municipal, une subvention exceptionnelle de 15 000 euros au Fonds de solidarité Gaza mis en place par la Fondation de Lille. Européenne convaincue, Martine Aubry aurait pu prendre le temps de lire le rapport de la Cour des comptes européenne publié en décembre dernier sur le détournement massif des aides financières allouées aux territoires palestiniens. A-t-elle oublié qu’en 2010 l’ONG médicale Help Doctors, soutenue financièrement par cette même fondation, a été contrainte de fermer son dispensaire de Gaza sur ordre du Hamas ? Non, elle n’a pas oublié. Mais, cette fois-ci, la Mairie est confiante, elle a décidé de travailler en partenariat avec le ministère des Affaires étrangères afin de limiter les risques de détournement. Une garantie en béton…
Joint au téléphone le 23 octobre, le maire de Safed, Ilan Shohat, trouve le procédé saumâtre. Sur la forme : il ne s’est trouvé personne, à la mairie de Lille, pour prendre le temps de lui notifier cette décision, qu’il a apprise en lisant Le Figaro. Sur le fond : « C’est une grosse erreur, le jumelage est un moyen pour les responsables locaux de créer des ponts, des liens entre des communautés, ce qu’un Premier ministre, par exemple, ne pourrait pas faire. » Il compte envoyer une lettre à Martine Aubry afin d’en savoir davantage sur cette affaire. Mais sans attendre la réponse, il suppute « un acte strictement politique, facile et populaire », permettant à Martine Aubry « d’avoir plus de voix pour les prochaines élections ». Dieu que ces Israéliens sont paranoïaques, ils voient du cynisme partout…[/access]
*Photo: Dan Balilty/AP/SIPA.AP21316194_000006
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !