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L’Aube aux doigts de sang


L’Aube aux doigts de sang

En Grèce, Aube dorée agresse les immigrés.

Je ne sais pas si l’aube est dorée, ni d’ailleurs pourquoi elle devrait l’être, mais je sais que l’aurore qui lui succèdera au beau pays d’Iphigénie n’aura pas, si l’inaction gouvernementale hellène se poursuit, les doigts de rose mais de sang. Cette inaction gouvernementale est double : liée comme un serviteur à son maître à la troïka européenne et à ses recommandations d’austérité irréaliste, la coalition au pouvoir à Athènes n’est décidément plus qu’une chambre d’enregistrement de l’orthopraxie économique libérale, imposant à son peuple des précipités alchimiques dont la théorie indique qu’ils devraient lentement mais sûrement le mener jusqu’à cette réaction finale qui s’appelle le bonheur. Quand, où, comment, avec qui, nul ne le sait, mais cela doit arriver à la fin du processus : la paillasse du Professeur Draghi, elle, ne ment pas.

L’autre absence d’activité du gouvernement se constate dans les rues du pays dévasté où, étrangement le peuple ne paraît pas avoir admis la licéité du protocole en cours. Et le peuple, quand on l’a arraché à tout cadre naturel autant qu’à la protection normale de la société, qui s’appelle en dernier recours la police, est parfois méchant. Très méchant. Je ne crois pas avoir l’habitude, pas plus que la majorité des collaborateurs de Causeur, de hurler, suivant les principes de la démocratie olfactive décrite avec un rare bonheur d’expression par Elisabeth Lévy, à la nauséabonderie, au méphitisme, au puage de bouche dès qu’un personnage public s’autorise une critique de la postmodernité nomade. Cependant, les images venues de Grèce et dont j’ai eu le malheur d’être l’éphémère spectateur ne relèvent plus de l’intention xénophobe, raciste ou de je ne sais quel autre terme dont les auteurs de Libé et des Inrocks ont coutume d’affubler leurs adversaires de plume et de parole dès qu’il s’agit d’évoquer l’immigration, l’intégration ou l’assimilation : elles relèvent du réel, et leur ignominie mérite donc réparation et châtiment.

De quoi s’agit-il donc ? D’une vidéo, fabriquée apparemment par les membres d’Aube dorée et donc digne de confiance pour ce qui est de la relation des faits, montrant les sicaires de ce parti politique grec aux références clairement fascistes sinon nazies et qui a envoyé 21 députés au Parlement national grec, en train de contrôler de leur propre chef les papiers de marchands ambulants considérés comme immigrés dans la ville de Rafina en Attique. Cette nouvelle police sans autre mandat que ce qu’elle appelle son patriotisme semble capable de deux mouvements pavloviens selon la situation à laquelle elle est confrontée : le marchand brandit-il des papiers en règle qu’elle les lui rend incontinent et passe au suivant ; le marchant est-il dans l’incapacité de produire les preuves de son droit à séjourner en Grèce et partant de son droit à y commercer qu’elle saccage son étal, n’en laissant subsister tréteau, table, œuf, lait, cochon.Et passe au suivant. Si l’on en croit le film, le passant grec, médusé, n’en peut mais, et les gros bras d’Aube dorée de poursuivre en toute quiétude leur besogne patriotique.

Ce nettoyage sauvage tombant le 8 septembre qui comme chacun sait est la fête de la nativité de la Vierge, les terroristes hellénophiles ont eu à cœur d’ajouter l’ironie à la voie de faits, par le truchement de l’un de leurs députés : « Nous sommes venus pour honorer la fête de la Sainte Vierge. En même temps, nous avons appris qu’il y avait ici beaucoup d’immigrés clandestins sans papiers. Nous les avons dénoncés à la police et l’Aube dorée a fait ce qu’il fallait faire ».
Nul doute que ces grands théologiens orthodoxes ont cru pouvoir ajouter à l’imitation du Christ chassant les marchands du Temple l’actualisation de la prière de la Vierge, le doux Magnificat : « Il renverse les puissants de leur trône et élève les humbles ». Ils ont la conscience en paix.

Il n’est pas besoin de préciser au lecteur que la vision de ces images soulève le cœur. Il est peut-être urgent pourtant de rappeler aux idéologues du remboursement de la dette qu’un pays décapité, dont l’Etat a été entièrement défait du jour au lendemain, dont les services publics ont été tronçonnés et que le monde riche poursuit de sa vindicte jour après jour, accouche rapidement de cela. Urgent de préciser du même mouvement aux revanchards qui attendent l’apocalypse française pour enfin se venger des humiliations que l’élite mondialisée leur a fait subir, et à cette élite même qui ne sait rien de mieux que clouer au pilori Richard Millet pendant qu’en Grèce on pogromise, que la société de la dénonciation mimétique s’autodétruira. Car il ne vaut jamais mieux qu’un seul homme meure plutôt que le peuple entier.



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est journaliste et essayiste.

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