En interrogeant les candidats via une salle de classe, l’émission de télévision « Au tableau » se targue de pousser les politiques dans leurs derniers retranchements, et de nous les présenter sous un nouveau jour… Car, c’est bien connu, la vérité sort de la bouche des enfants! Et, on nous l’assure, ce n’est pas du tout la production bobo qui souffle les questions à ces petits galopins. Si les enfants deviennent les nouveaux arbitres du débat politique, on leur donnera demain le droit de vote. Une dérive.
Vous avez aimé frissonner devant certains films d’horreur avec des enfants comme personnages principaux (« Le village des damnés » ou « Sa Majesté des Mouches », par exemple) mais n’avez pas le temps de les revoir ? Soyez rassurés, j’ai dégoté pour vous une nouvelle série composée d’épisodes d’une trentaine de minutes qui glace le sang. Ça s’appelle « Au tableau », ça passe sur C8. Le principe : chaque candidat à la présidentielle se présente devant une quinzaine d’élèves âgés de huit à 12 ans et répond à leurs questions, subit des interros surprises, fait des exercices notés par les élèves et se prend des coups de règle sur les doigts. Trente minutes de terreur et d’horreur absolues.
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Le casting est parfait. Les élèves se prénomment Eïleen, Antonin, Ayden, Imad ou Victoire, connaissent les points principaux des programmes de chaque candidat et ont, semble-t-il, un QI très largement au-dessus de la moyenne. En réalité, ces futurs petits Gardes rouges ont été adroitement conseillés et coachés par des professeurs, des producteurs et des parents qui, toute honte bue, ont transformé ces enfants en monstres de foire télévisuelle.
Un tableau effrayant
Les poses et les mimiques d’adultes que prennent ces enfants lorsqu’ils corrigent Yannick Jadot mis sur le grill – en l’occurrence devant une carte sur laquelle le candidat écolo peine à placer les capitales des pays de l’UE – font un tableau assez effrayant. Avec Zemmour, c’est pire encore, les visages des petits monstres se crispent et les sourires se figent. Des questions fusent des bouches de ces marionnettes manipulées par un ventriloque invisible : « Pourquoi êtes-vous contre la société multiculturelle ? » Brr ! « Si vous êtes élu président, est-ce qu’il y a des styles de musique qu’on n’aura plus le droit d’écouter ? » Brr Brr ! « Êtes-vous le Trump français ? » Brr Brr Brr ! À la fin de l’émission, une des élèves est apparemment étonnée que Zemmour n’ait pas bouffé l’un d’entre eux : « Il a été assez gentil mais… il s’est retenu parce qu’on est des enfants. »
Refusant de participer à cette mascarade, Marine Le Pen a déclaré : « On ne doit pas se servir des enfants pour sa campagne, ni les mêler à la politique. Une salle de classe est un sanctuaire. » On ne saurait mieux dire. Un enfant n’est pas un adulte mais un « nouveau venu dans un monde qui lui est étranger » (Arendt), c’est-à-dire un être humain en cours d’évolution et de formation. Les adultes devraient offrir aux enfants une éducation reposant sur l’autorité bienveillante mais ferme de parents responsables et celle, libérée du pédagogisme nuisible, de professeurs transmettant des savoirs. L’émission de télévision « Au tableau » est l’exact inverse de cette éducation et ressemble finalement à ce qui se passe de plus en plus dans les classes de nos écoles et dans les familles. Les enseignants ne sont plus là pour enseigner une discipline mais pour participer à un projet social, tolérant, ouvert à l’autre, inclusif. Les enfants sont dressés à rééduquer leurs parents à ce nouveau dogme. Ce type d’éducation relève de la pure propagande idéologique et ne peut conduire qu’à un désastre, celui qui accompagne toutes les révolutions culturelles.
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Jamais les désirs rebellocrates des jeunes générations n’auront été aussi façonnés, préparés à servir toutes les manipulations idéologiques, qu’aujourd’hui. Le relativisme ambiant met sur le même plan la pensée d’un enfant et celle d’un adulte d’un demi-siècle son aîné et ne fait pas de différence entre la parole d’un homme expérimenté et celle d’un élève du primaire transformé en singe savant. Au sein d’une société qui ne cesse de louanger outrancièrement sa jeunesse, nos enfants deviennent les prescripteurs des idéologies les plus mortifères et des articles de consommation les plus inutiles et coûteux – mais il arrive toujours un moment où l’un d’entre eux montre son vrai visage, celui de l’ignorant hargneux, du garde-chiourme convulsif, du Père Fouettard maladif et colérique, celui de Greta Thunberg. Les plus à blâmer ne sont assurément pas les enfants. Les adultes qui se servent d’eux et ceux qui laissent faire devraient être condamnés, les premiers pour maltraitance et les seconds pour abandon de poste.
L’école et la télé, oui, c’était mieux avant !
Beaucoup de parents ne remplissent plus leur rôle. Ils ont abandonné. Certains craignent, s’il leur venait l’idée de se conduire en l’adulte responsable qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être, de passer pour des fachos, des arriérés ou des ploucs. Hébétés, lobotomisés par l’intelligentsia gauchisto-wokiste qui règne sur l’audiovisuel public et les universités, sur la culture subventionnée et l’école, sur les réseaux sociaux et les séries télévisées, ils n’éduquent plus leurs enfants ; c’est l’inverse qui se passe : influencés sévèrement par leurs rejetons incultes transformés en donneurs d’ordres ou en prêtres wokistes, ils deviennent soudainement écolos, féministes, vegans, adeptes de la solidarité sororitaire, de la méditation “en pleine conscience”, de la fluidité sexuelle et de l’écriture inclusive, de crainte de passer pour des vieux cons ou des boomers. C’est à peine s’ils osent dire que, quand même, certaines choses étaient mieux avant.
Dans ce monde inversé où les adultes ont décidé que les enfants ne devaient pas avoir d’enfance, les très jeunes élèves de l’émission « Au tableau » parlent comme des vieillards. L’individu ne s’échappe que difficilement de cette enfance racornie, et un nouveau mot décrit la mutation en cours : adulescent. Cet êtreprématurément vieilli ne sort paradoxalement de son adolescence consumériste et ignorante que tardivement, s’il en sort jamais. L’adulescent est en gestation chez ces très jeunes gens qui admonestent des représentants politiques et dont le destin sera rapidement de se répandre narcissiquement sur les réseaux sociaux tout en se gavant de séries télévisées, de jeux vidéo et de pizzas exotiques livrées par un cycliste exotique lui aussi.
L’inexplicable participation d’Éric Zemmour
Comment est-il possible que ces candidats à la présidentielle n’aient pas compris qu’ils n’avaient rien à faire dans cette classe, devant de si jeunes élèves transformés en bêtes de foire médiatique ? Comment Éric Zemmour a-t-il pu ne pas concevoir qu’il participait ainsi à ce qu’il dénonce par ailleurs, à savoir le déclin de notre école devenue lieu de propagande, la fabrication des crétins, la déshumanisation, l’abrutissement de tous ? Que diable est-il allé faire dans cette galère ?
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En voyant les visages sérieux et butés de ces enfants, en entendant les diatribes délirantes de Greta Thunberg, en me remémorant les images de certaines manifestations de collégiens et de lycéens ou les propos vindicatifs d’étudiants censurant tel conférencier ou empêchant telle représentation théâtrale, en constatant simplement l’emprise de plus en plus grande d’enfants idéologisés sur des parents craintifs, je pense à Jaime Semprun. Ce dernier, épouvanté par « la barbarie [qui] jaillit comme de source de cette vie simplifiée, mécanisée, sans esprit », interrogeait : plutôt que de nous demander quel monde nous allons laisser à nos enfants, ne ferions-nous pas mieux de nous poser « cette autre question, réellement inquiétante : “À quels enfants allons-nous laisser le monde ?” » [1]
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[1] L’abîme se repeuple, Jaime Semprun, Éditions de l’encyclopédie des nuisances.
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