Octobre 2012. Depuis des mois, fous de Dieu et rebelles touaregs ont pris le contrôle du nord du Mali qu’ils livrent à la barbarie. Nul ne sait encore que la France se prépare à intervenir et que bientôt la légion sautera sur Tombouctou.
Aux grands maux les grands remèdes : pour sauver le pays et bouter les islamistes hors du Sahel, il ne faut pas moins qu’une Jeanne d’Arc africaine. Sous la plume acérée d’Erik Orsenna, Madame Bâ fait son grand retour, au Mali et en librairie. Depuis près de dix ans, cette institutrice à la retraite, surveillante surnuméraire à la cantine de l’école Ferdinand-Buisson de Villiers-le-Bel coulait des jours tranquilles en France où elle était venue sauver son petit-fils Michel, repéré par des agents recruteurs du Paris Saint Germain. N’écoutant que son courage – et son incommensurable orgueil – Marguerite Bâ prend l’avion pour Bamako. Elle a en effet trouvé une mission à la mesure de son talent : bouter les barbus hors du Mali, libérer les petites filles par l’école et émanciper les femmes en leur apprenant la contraception, réguler le flot ininterrompu des naissances pour endiguer le fleuve impétueux de la jeunesse et assécher le vivier où puisent islamistes et trafiquants de tout poil !
Accompagné par son neveu Michel, qu’elle rebaptise Ismaël pour en faire le griot chargé de chanter ses exploits, la truculente Madame Bâ, bardée de certitudes et de convictions définitives, se lance à corps perdu dans de trépidantes aventures qui la conduiront de Bamako à Tombouctou en passant par Dakar via un camp de réfugiés au Niger. C’est que Madame Bâ est un personnage hors du commun ! Les services de renseignements français n’en doutent pas, qui la recrutent pour mettre à profit ses facultés auditives inégalées. N’est-ce pas elle qui, percevant la première les bruits de l’attaque djihadiste sur Konna, avertira son officier traitant pour provoquer la vigoureuse riposte connue sous le nom d’opération Serval ? Elle en sera mal remerciée, François Hollande ayant l’outrecuidance de lui voler la vedette en venant se faire acclamer à Tombouctou le 2 février 2013 ! Le président de la République en sera quitte pour une leçon de géopolitique que lui assénera Madame Bâ dans l’avion qui les ramènera à Bamako…
Dans ce beau livre, Erik Orsenna nous offre le récit jubilatoire de « la dangereuse et glorieuse campagne de Mme Bâ pour sauver le Mali ». Mais que l’on ne s’y trompe pas. Au-delà de la farce, c’est une formidable analyse de la situation malienne que propose Erik Orsenna dont l’amour et la connaissance du pays transparaissent à chaque page. Certes, l’auteur prend bien soin de s’appliquer à lui-même la règle première du métier de griot : l’effacement. « Celui qui a pour mission de raconter doit apprendre à devenir invisible. A aucun prix il ne doit troubler le cours des choses. » Mais, convaincu que le Mali a avant tout besoin de vérité, il met en lumière, au moyen d’une série de petites piques, les travers de la société malienne : une armée qui n’est pas faite pour défendre, encore moins pour attaquer, mais n’est que « le garage, le refuge, le salaire de ceux qui n’ont rien trouvé d’autre à faire ». Une police qui a pour principale occupation de racketter la population : Madame Bâ se voit ainsi sommée de payer une « taxe d’occupation exagérée de la chaussée publique », son derrière étant trop large pour lui permettre de monter sur un deux-roues ! Une croissance démographique galopante – plus de six enfants par femme en moyenne – qui annihile tout espoir d’offrir un avenir à la jeunesse du pays.
La politique africaine de la France n’est pas davantage épargnée. Erik Orsenna rappelle fort à propos que l’intervention militaire en Libye a permis le retour au Mali de centaines de mercenaires touaregs avec armes et bagages : « La France n’avait accompli qu’une partie du travail, la plus facile. Quelques petites leçons de Sahara ne lui auraient pas été inutiles. Ainsi qu’un solide apprentissage de la modestie. Les déserts paraissent simples, parce qu’on les croit vides. Erreur. ». Il rappelle de même des vérités d’évidence que l’on semble ignorer dans les cénacles parisiens. Les Touaregs ne sont guère plus que quatre cent mille au Mali dont ils ne constituent qu’une partie de la population des régions nord. « Il faut que tu comprennes, Madame Bâ, fait-il dire au président déchu Amadou Toumani Touré, que ce sont eux qui font le plus de bruit car se sont eux qui aiment la guerre, le mouvement, les trafics. Mais dans le désert, ils ne sont qu’un sur dix. Les neuf autres sont peuls, songhaïs, maures … »
« Français, pauvres Français ! » se lamente notre héroïne qui estime qu’ils ne comprennent rien à la situation. Les Touaregs, indépendantistes du Mouvement de Libération de l’Azawad (MNLA), ou islamistes d’Ansar Dine, les djihadistes du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest (MUJAO) ne sont-ils autre chose, nous dit-elle, que les «divers et mouvants accoutrements des mêmes gangsters habités par le même souci de s’enrichir au plus vite, par tous les moyens possible ? » On s’interroge alors à bon droit sur le refus opposé à l’armée malienne de reprendre Kidal et de désarmer les bandits en tout genre qui y prospèrent encore aujourd’hui… « Français, ô Français, pourquoi avez-vous décidé de laisser leurs armes aux voyous, se demande Madame Bâ ? Sauf à considérer que, dans cet immense territoire, seules des milices touarègues pourraient assurer un semblant de sécurité. Mais dites-moi, franchement, Français, ô Français, comment pourrez-vous garantir aux gendarmes un revenu au moins égal à celui que tirent les voleurs de leurs trafics ? »
On le voit, rien n’est encore réglé au Mali, et il est à craindre que Madame Bâ ait encore beaucoup à faire …
Mali, ô Mali, Erik Orsenna, Stock.
*Photo : STR/AP/SIPA. AP21365456_000003.
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