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La boîte du bouquiniste

"Au contraire", de Jacques Laurent


La boîte du bouquiniste
Jacques Laurent © Louis Monie/ Bridgeman images

Les bouquinistes ne seront finalement pas virés des quais de Seine durant les JO. Causeur peut donc continuer d’ouvrir leurs boîtes à vieux livres.


Jacques Laurent demeure le modèle de l’écrivain bifrons. Chez lui, cohabitent en bonne intelligence le romancier et le pamphlétaire. Le premier n’a jamais éclipsé le second. L’auteur des Bêtises n’a jamais fait d’ombre à celui de Mauriac sous de Gaulle. Même alacrité, même fantaisie. Semblable brio crée la surprise ; conduit le lecteur dans des lieux inattendus. La fantaisie capricante qui fait l’originalité et le charme des Corps tranquilles, son premier roman, on la retrouve chez le hussard prompt à pourfendre ses bêtes noires.

Humour omniprésent

À preuve, Au contraire, florilège de chroniques publiées par Jacques Laurent entre 1948 et 1966. La plupart ont paru dans les revues qu’il dirigeait, La Parisienne, Arts, L’Esprit public ou encore dans le premier et unique numéro d’Au contraire. Le regard acéré du polémiste balaie les domaines les plus divers, dénonce les faux-semblants, les hypocrisies, les mensonges d’une époque qui préfigure notre temps. Le conformisme, la soumission à tous les tabous, aux dictatures morales de toutes natures, lui sont insupportables. Non qu’il cherche à imposer une quelconque doctrine. Nulle théorie, pas de prêchi-prêcha. Un simple constat. L’humour omniprésent se révèle l’arme la plus efficace qui soit ; d’autant plus redoutable qu’elle fait mouche à chaque fois.

La variété des thèmes abordés a de quoi donner le tournis. De la célébration du docteur Petiot à celle du grand initié méconnu que fut Hector Malot, de « Camus et Guillotin » à « Un grand historien : (Edmond) Michelet », difficile d’établir la moindre hiérarchie. Caractéristiques communes, l’ironie parfois grinçante qui sourd d’une prose à la fois riche et légère. Un ton souvent badin en apparence, chargé en réalité d’une force de conviction ravageuse.

Cibles récurrentes

Il a ses têtes de Turc, ses cibles récurrentes – en politique, de Gaulle, la Résistance, la Libération ; sur le plan intellectuel, Jean-Paul Sartre, pape de l’existentialisme. Dans le texte intitulé « Paul et Jean-Paul », celui-ci fait l’objet d’une comparaison inattendue avec Paul Bourget. Publié à l’origine en février 1951, dans le n° 38 de La Table ronde, puis réédité l’année suivante par Grasset, le texte initial est ici reproduit sous la forme d’extraits significatifs. Sans doute une des démonstrations les plus désopilantes du recueil. En exergue, l’assertion quelque peu incongrue de l’auteur de La Nausée, dans Situations II : « Il y a quelque chose de commun, qui n’est point le talent, entre Joseph de Maistre et M. Garaudy. » Puisque tous les rapprochements sont permis, pourquoi s’en priver ? Et le féroce analyste de s’engouffrer dans la brèche. Son enquête obéit à une implacable logique. On devine que Sartre ne sort pas vraiment grandi de ce parallèle jubilatoire.

Laissons à l’auteur le dernier mot : « Tout s’est passé comme si, avant de nous mettre au travail, c’était un feu de joie qu’il nous avait fallu allumer. »


Jacques Laurent, Au contraire, La Table ronde, 1967

Au contraire

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Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste et écrivain, a enseigné les lettres classiques au lycée et l'histoire du jazz à l'université.

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