Les rassemblements festifs Place de la République à Paris au soir de la mort de Jean-Marie Le Pen scandalisent, mais auraient peut-être amusé l’ancien leader de la droite nationale. Paris Match publie une photo de Marine Le Pen en pleurs, puis se ravise.
Au cœur de l’hiver 1793, vos semblables avaient dansé eux aussi. C’était dans les heures qui suivirent la mort du roi. Dansé, braillé et bu tout près de là où vous vous étiez agglutinés hier à la nuit tombée. Devant ce spectacle, je ne pouvais m’empêcher de penser que c’est toujours sur le cadavre d’un être qui les dépasse de beaucoup, que ce ne peut être qu’au soir de la mort d’un grand qu’un vil peuple se met en transes.
D’une certaine manière, sans doute est-ce ainsi que, sans le savoir, vous autres rendez hommage aux disparus d’importance. Bien sûr, on chercherait là en vain une quelconque marque de bon goût. En revanche, l’ardeur est bien là, débordante, échevelée, obscène pour tout dire.
Votre bal improvisé place de la République et autres lieux à travers le pays n’était en vérité que le bal des vaincus.
Vous avez tenu durant quelques heures le caniveau, il est vrai, lieu qui vous sied à merveille, mais c’est désormais la vision lucide, désenchantée et vraie, ce sont les alertes et les idées de Jean-Marie Le Pen qui tiennent partout en France, ne vous en déplaise, le haut du pavé. En fait, évidence que vous seriez bien incapables de reconnaître, c’est bien sur cette victoire-là, inattendue mais à présent probablement décisive, que vous gigotiez, brailliez, vomissiez votre haine. La haine tonitruante des faibles, des impuissants, des défaits, des révolutionnaires de beuveries et de carnaval.
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Ce bal des vaincus aura été, que vous en ayez conscience ou non, le plus trépidant, le plus hystérique, le plus braillard, et donc d’un certain point de vue le plus formidable hommage qui pouvait être rendu au Croisé Le Pen au soir de sa mort. Soyez-en remerciés. Mais si, mais si…
Enfin, danser un soir de deuil n’est pas dans mes mœurs, certes, mais me piquant d’être un défenseur farouche et résolu de la liberté de penser je ne peux me dispenser de l’être aussi de la liberté de danser. Dansez donc jeunes gens. Encore et encore… Là-haut, il me semble qu’il s’en trouve un pour ricaner de plaisir.
Et puis, dans le registre du goût douteux, peut-être faut-il aussi ranger cette photo publiée par Paris Match où l’on voit, dans l’avion qui la ramène de Mayotte, Marine Le Pen en larmes, effondrée. Elle vient d’apprendre le décès de son père. Était-il si opportun, si indispensable de dérober ce moment d’intime détresse ? Est-ce que le plus élémentaire respect qu’on doit à la mort, à ceux qu’elle touche, bouleverse, blesse, n’aurait pas dû tempérer quelque peu la précipitation mise à coucher sur papier glacé cet accès de chagrin[1] ? Le respect, oui. Mais parfois on en arriverait à douter qu’on puisse encore respecter quelque chose en France aujourd’hui. Cela dit, à terme, cet instant d’humanité restera. Cet instant volé qui ne peut que rendre la cheffe politique plus proche de nous, du commun des mortels, qui finalement la créditera de cette proximité qui nous semble si souvent faire défaut à nos élites dirigeantes. Il n’y avait pas urgence, certes. Mais ainsi le veut, dans notre monde d’aujourd’hui, la dictature de l’immédiateté.
[1] Publiée sur les réseaux sociaux, la photo a depuis été retirée
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