Je n’étais pas vraiment décidé à me rendre à la « marche républicaine » de dimanche. Quelle qu’ait pu être l’importance du choc ressenti après l’attentat de mercredi et des jours qui ont suivi, j’avais bien conscience que la grande « mobilisation citoyenne », comme toutes les grandes mobilisations citoyennes que nous subissons depuis plus de dix ans, avait toute les chances de se transformer en farce. Tout, dans les effets d’annonce, les éléments de langage plus lénifiants que jamais, l’éviction polie du Front national et l’invitation du premier ministre turc Davutoglu démentait les grandes promesses d’union républicaine et sonnait faux, irrémédiablement faux. Comme cela arrive parfois dans ce genre de cas et devant ce genre de dilemme, ce fût quelqu’un d’autre qui m’aida à prendre la décision. Quelqu’un avec qui j’aurais souhaité être dans ces moments-là mais qui était ailleurs, dans une autre ville, et qui m’a juste dit : « Moi j’y vais. Fais comme tu veux. » Je me suis senti un peu con, j’ai senti aussi qu’il me fallait mettre mes réticences de côté et aller simplement rendre hommage à nouveau aux morts en oubliant pour un moment François Hollande ou Davutoglu.
J’y suis donc allé, un peu à contrecœur et un peu tendu aussi, de même que l’amie qui m’accompagnait, parce que nous pensions tous deux sans trop le dire que faire descendre des centaines de milliers de personnes dans les rues pouvait exciter les ardeurs de quelque nouveau cinglé désireux de négocier son quart d’heure de gloire ou sa place au paradis, les deux semblant aller de pair désormais. Et puis surtout, au-delà de la peur, je ne voulais, avant toute chose, ne pas entendre ce jour-là de discours pontifiant, je ne voulais pas entendre encore, pour la centième, millième fois, entendre parler des zamalgams ou des zidénozéabondes. J’avais lu, la veille, l’article de Joffrin qui regrettait presque ouvertement que les terroristes n’aient pas descendus les bons islamophobes et aient épargné Houellebecq ou Zemmour. Je trouvais du coup les gens comme Joffrin suffisamment nauséabonds pour ne pas avoir à subir encore leurs discours dilués ou repris à l’envi dans les slogans d’une manifestation. Je n’avais vraiment pas envie de cela en ce jour précis.
Mais il n’y eut pas de discours. Pas d’excité à une tribune braillant des appels au mieux vivre-ensemble, ni de prêcheurs de la religion de la Sainte Guimauve, il n’y eut qu’une foule immense, multitude bouillonnante de visages qui se déversait dans les artères soudain étroites et les avenues rendues minuscules, une foule qui criait, qui applaudissait, qui huait, qui interpellait mais une foule qui ne braillait pas de slogans, qui n’écoutait pas de discours. Ce n’était pas, heureusement, un jour pour les discours.
Des huées ou des vivats remontaient comme une immense vague de colère l’immense cortège et le vacarme de milliers de bouches nous engloutissait, à en faire crever les tympans et il y avait beaucoup de drapeaux, de drapeaux français. J’étais heureux de les voir. J’étais là comme des milliers pour rendre hommage à des gens qui avaient payé de leurs vies le simple fait de défier ceux qui voulaient nous imposer, au prix du sang, la terreur d’une religion et celle du blasphème. J’étais là pour dire : « je suis Français » et qu’en tant que Français je ne voulais pas que le blasphème soit soudain passible de mort dans mon pays. Et j’étais même plus heureux de voir ces drapeaux que le logo sympathique imaginé par un styliste, décliné sous toutes les formes et destiné peut-être à orner bientôt les T-Shirts dans les boutiques de souvenir. J’en avais marre aussi ce jour-là des hashtags et des logos, j’avais envie de voir des gens qui portaient bêtement des drapeaux et qui gueulaient.
Soudain, quelques personnes autour de nous ont commencé à crier : « Les snipers ! Les snipers ! » J’ai juste eu le temps de penser que, merde, c’était dommage d’y passer comme ça avant qu’un immense hourra s’élance dans le ciel, porté par des milliers de gosiers en furie, à la conquête des toits de Paris sur lesquels se dressaient de petites figures, des silhouettes que l’on voyait vaguement faire signe de la main. Les tireurs d’élite de la police étaient salués par la foule tout comme les CRS caparaçonnés qui surveillaient le cortège se voyaient abordés et congratulés par les manifestants. Il y eu, cependant, des absents notables. A bien regarder le cortège, je n’y ai pas retrouvé la France de la diversité, la France des cités que j’avais pourtant vu en masse descendre dans les rues pour s’égosiller contre les juifs un certain autre jour de colère. Pourtant, ce dimanche, les transports étaient gratuits. Peut-être avait-elle eu un empêchement ?
En rentrant à la maison, un peu plus tard, j’ai appris que près de quatre millions de personnes étaient descendues dans la rue dimanche. Deux millions à Paris et deux millions cinq en province. Cent cinquante mille à Bordeaux, la moitié de la population de la ville en somme, cent quinze mille à Rennes, le tiers environ, un quart de la population lyonnaise et… soixante mille à Marseille, ce qui est peu pour une cité de presque un million d’habitants. Les médias se réjouissent de la belle façade d’unanimité républicaine présentée par la manifestation de dimanche. Mais pendant qu’une partie de la France descendait dans la rue pour se plier de bonne grâce à l’injonction républicaine, Twitter vrombissait encore des messages de soutien aux meurtriers sur le hashtag #jesuiskaouchi et, dans les écoles, nombre d’élèves de collège ou de lycée disent encore aujourd’hui ne pas trouver anormal que l’on tue pour des caricatures. Et le vacarme optimiste des vivats et des huées me semble soudain être un peu moins fort.
*Photo : ROMUALD MEIGNEUX/SIPA. 00701617_000001.
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