Attentats: la jauge des émotions


L’Homo empathicus des réseaux sociaux observe de nouveaux rituels d’hommage lorsque surviennent des événements dramatiques. On s’ingénie à produire le hashtag compassionnel le plus viral, on fait assaut de solidarité virtuelle.

Ainsi, depuis le 13 novembre, comme en janvier, fleurissent des dessins de soutien sur les pages des internautes. Sur Facebook, ces derniers peuvent orner leur photo de profil du drapeau français.

De nombreux internautes russes ont également appliqué le filtre aux couleurs de la France à leur photo et publié des messages de sympathie. Aussitôt, d’autres ont jugé cette manifestation de solidarité déplacée. Est-il décent de pleurer les morts de Paris ? Aurait-on oublié les victimes russes du crash de l’A321, le 31 octobre ? Afficher le drapeau français, plutôt que le ruban de Saint-Georges, témoignerait du ralliement aux « valeurs européennes » et, de facto, du rejet des « valeurs russes ». L’expression d’une telle compassion, instrumentalisée par l’équipe de Facebook qui en offre la possibilité technique, serait donc entachée de russophobie.

S’est ensuivie une discorde. Qui nous a privés de la compassion internationale ? se demandent les Russes. Deux réponses sont suggérées. Le leader des opinions facebookiennes, Mark Zuckerberg, à la solidarité sélective et suspect d’intérêts politico-mercantiles. Ou Vladimir Poutine, qui n’a reconnu qu’un acte terroriste était à l’origine de la catastrophe que le 17 novembre. Autrement dit, les géants américains du web ou l’exécutif russe ? Citoyen de Russie, choisis ton camp, et tes « valeurs ».

Maria Zakharova, porte-parole du ministère des Affaires étrangères russe, a publié sur sa page Facebook, le 17 novembre, jour de la confirmation de l’attentat, un dessin en hommage aux victimes. Il s’agit d’un avion stylisé entouré d’un cercle reproduisant le symbole peace and love, sur fond de drapeau russe. Elle dit avoir reçu cet emblème, analogue à la tour Eiffel peace and love, d’un « anonyme italien solidaire ». Les stars du show-biz russe lui ont emboîté le pas. Une volonté d’apaisement ? Mais maintenant que chacun s’est vu fournir le symbole qui correspond à son chagrin, que faire si l’on persiste à « se tromper » de deuil ?

Comme on mesure l’audimat d’une émission de télévision pour évaluer sa popularité, s’apprête-t-on à faire le décompte des publications de « logos de soutien », quels qu’ils soient, sur les réseaux pour jauger une émotion, et la déclarer « juste » ou « moralement condamnable » ?

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travaille dans l'édition, diplômée de russe et de lettres modernes.

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