Attentat du Bardo : il n’y pas de fumée sans feu


Attentat du Bardo : il n’y pas de fumée sans feu

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Dans son discours prononcé le 20 mars à l’occasion du 59ème anniversaire de la fête de l’Indépendance, le président Béji Caïd Essebssi est revenu sur les attentats de la veille, au musée du Bardo, en appelant à « l’unité nationale ». Le propos du nouveau chef de l’État est certes ferme et poignant, notamment grâce à l’usage systématique du dialectal tunisien avec lequel le nouveau locataire de Carthage cherche à s’inscrire dans le droit fil de Habib Bourguiba, dont il a été le ministre pendant plusieurs années, mais, comme nous l’avons dit ici même il y a quelques mois, « n’est pas Bourguiba qui veut ». Ne tournons pas longtemps autour du pot et disons les choses de la façon la plus simple et la plus directe : Habib Bourguiba n’aurait jamais accepté que certains promoteurs déclarés du terrorisme fussent présents au palais présidentiel de Carthage à l’occasion de la fête de l’Indépendance. D’ailleurs certains ne sont encore en vie que grâce à celui qu’ils appellent « le second déchu », Ben Ali, le premier étant Bourguiba lui-même.

Si l’expression française « il n’y a pas de fumée sans feu » signifie que tout événement a nécessairement une cause, il existe une expression tunisienne qui dit autre chose avec presque les mêmes mots : « il met le feu et s’interroge sur l’origine de la fumée ». C’est en effet ce qui se passe avec Rached Ghannouchi, le gourou du parti islamiste Ennahdha, ainsi qu’avec les intellectuels de la même obédience à l’instar de Tariq Ramadan, lorsqu’ils cherchent à trouver la quadrature du cercle et que, phénomène extraordinaire, ils semblent y parvenir avec la complaisante complicité des partisans des demi-mesures. Hélas, quand le sang coule à flots et de façon à la fois systématique et organisée, dans des assassinats ciblés, comme ceux des opposants Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi le 6 février et le 25 juillet 2013, ou au cours de tueries comme celles de Charlie Hebdo à Paris le 7 janvier et du musée du Bardo à Tunis le 19 mars 2015, il est plus que vain de parler d’esprit d’unité, de solidarité et de République contre la terreur rampante. Il faut d’abord commencer par frapper la terreur en s’en prenant à ses antennes apparentes, les exécutants n’étant que de vils épigones à la solde de maîtres à penser évoluant à visage découvert. Il nous est inutile d’accuser en criant haut et fort que Rached Ghannouchi et son parti Ennahda sont coupables et qu’ils doivent répondre de leurs actes. Il n’y av   ait pas de terrorisme avant eux en Tunisie. Cela va sans dire.

D’un autre côté, quand bien même les implications directes de Rached Ghannouchi et d’Ennahdha ne seraient pas prouvées, il tombe sous le sens que l’avènement du terrorisme a coïncidé avec le retour de Rached Ghannouchi et de certaines des figures de son parti sur la scène politique tunisienne à l’issue de la révolution du 14 janvier 2011. Pis encore, ce que Moncef Marzouki a appelé à Paris même le 18 juillet 2012 « les dérapages salafistes»[1. Cf. le discours de Moncef Marzouki devant l’Assemblée nationale française, 18 juillet 2012.] s’est transformé en assassinats, exécutions et attentats salafistes, ce qui, dans la bouche du chef de l’exécutif d’alors, était plus qu’inadmissible, surtout après les événements du 14 septembre 2012, au cours desquels on a vu des hordes de barbus prendre d’assaut l’ambassade des États-Unis d’Amérique après l’affaire d’un film soi-disant « contre le prophète », film que personne bien évidemment parmi les vengeurs assaillants n’a vu. Les exemples de « dérapages » ne manquent pas et on nous a chaque fois servi une explication relevant de la science-fiction, de celle qui présente les salafistes comme les « dignes enfants » du cheikh Ghannouchi lui rappelant sa jeunesse et annonçant à ses yeux « une nouvelle culture », ou de celle où les mêmes « dignes enfants » ne « viennent pas de la planète Mars » et que nous nous devons de les « comprendre et de cohabiter avec eux », ou de celle encore où « seuls des sportifs s’entrainaient au mont Châambi », avant que la zone ne se transformât en maquis à partir duquel les djihadistes ont mené plusieurs attaques au cours desquelles des dizaines de soldats ont trouvé la mort.

On parle en France de « l’esprit du 11 janvier ». La marche était à vrai dire impressionnante, même si on ne comprend pas l’absence du président des États-Unis d’Amérique et la présence de chefs d’États dont les rapports avec le fanatisme et le terrorisme sont plus solides qu’avec la tolérance et les droits de l’homme. On parle aujourd’hui d’un même phénomène suite aux attentats du Bardo. Sans doute cela est-il aussi légitime que nécessaire. La lutte contre le terrorisme islamiste étant plus que jamais planétaire, mais cette lutte serait inutile avec l’existence de partis, d’hommes politiques, de prédicateurs et d’intellectuels douteux. Nous l’avons dit et répété ici et ailleurs à propos de Rached Ghannouchi, du Mouvement Ennahda et de Tariq Ramadan. Il ne s’agit en aucun cas de jeter l’anathème sur ces hommes, sur les partis, les idées ou la religion qu’ils représentent. Il s’agit avant tout de s’interroger et d’imposer le questionnement comme règle primordiale, car si le premier étant un homme politique, auteur d’opuscules théo-idéologiques, et l’autre se disant penseur et cultivant à fond le culturalisme, ce nouveau fond de commerce politico-identitaire, les deux hommes fonctionnent de la même façon : leur discours est double, incontestablement. Rached Ghannouchi, dans son prêche du vendredi 20 mars, déclare ceci qui s’oppose à tout ce que son passé, voire son histoire incarne : « Les terroristes ne lisent ni ne suivent le Coran, affirme-t-il, et en agressant les étrangers, ils nous agressent. »

C’est cela le double discours de Rached Ghannouchi. Tariq Ramadan n’en est pas moins coupable. Il est impossible, nous semble-t-il, de chercher à guérir une maladie, celle de l’islam en l’occurrence, avec des médecins (les politiques) et des remèdes (les intellectuels) qui sont eux-mêmes atteints par le mal qu’ils feignent neutraliser. Or, les Nemmouche, les Merah, les Gaghgadhi, les frères Kouachi, les Coulibaly, les Yassine Lâabid, les Jabeur Khachnaoui et jusqu’à Abou Bakr Baghdadi lui-même, ne sont pas importants tant qu’ils œuvrent en hommes de main, en assassins, en bandits en somme. Ceux qui incarnent un véritable danger sont en revanche ceux qui ont pignon sur rue et qui ― et nous les avons vus en Tunisie le jour même des attentats du Bardo ― ont élu demeure sur les plateaux de radio et de télévision, comme s’ils attendaient cette occasion, ces événements, ces attentats, ces assassinats pour revenir et occuper les devants de la scène qu’ils avaient abandonnée défaits aux législatives et à la présidentielle. Aussi sont-ils de retour, à peine trois mois après leurs défaites, pour nous expliquer que ni eux, ni leurs partis, ni leur religion n’ont rien à voir avec tout cela. Mais nous savons qui ils sont et nous nous sommes souvent à raison demandés à qui profite le crime. Au Bardo, musée historique de Tunis, à quelques mètres de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), c’est l’exception démocratique tunisienne qu’on a cherché à assassiner en s’en prenant aux invités de la nouvelle Tunisie. Allons, pour ce qui est des attentats du Bardo : il n’y a pas de fumée sans feu !

*Photo : SIPA. 00708581_000001.



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est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages. Poète, prosateur, essayiste, traducteur et chroniqueur littéraire, il enseigne la langue, la civilisation et la littérature françaises à l’École Normale Supérieure de Tunis.

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