Chaque fois que l’on pense aux attentats-suicides de Bruxelles, Paris ou ailleurs, on bute sur une énigme. Qu’est-ce qui pousse des individus à se faire exploser en assassinant un maximum de gens au hasard ? Qu’essaient-ils de faire ou de prouver ?
Leurs motifs politiques relèvent de l’infantilisme, puisque ces djihadistes sont supposés combattre le régime de Bachar Al-Assad. Or en faisant cela ils se rangent aux côtés de leur pire ennemi, la coalition occidentale. De plus ils s’engagent dans les rangs de l’Etat islamique, qu’ils suspectent en même temps d’être une création de cette coalition.
Leurs motifs religieux ne volent pas plus haut, puisqu’il s’agit souvent de convertis-express formés par Internet plus que dans des mosquées. Certains, invoquent le Paradis et ses vierges. La plupart des musulmans y croient, mais ne sont pas pour autant impatients de rejoindre Allah. Un des terroristes bruxellois a laissé un bref testament dans lequel il n’est même pas question d’islam ni d’Allah.
La plupart de ces terroristes étaient des délinquants parfaitement matérialistes, gagnant leur vie à coup de kalachnikov. La rapidité de leur lavage de cerveau reste un mystère. Tout comme leur conversion de truands en djihadistes. Comment l’objectif de se transformer en viande de boucherie à la seconde a-t-il pris le pas sur leur propre intérêt, qui serait d’abord de vivre ?
Interrogé par Causeur en septembre 2015 sur la possible « relation entre le déclin de la lecture chez les jeunes et un certain ensauvagement de l’individu contemporain », le philosophe Peter Sloterdijk nous donne un indice : « Le djihad, c’est une sorte d’intrusion de la bande dessinée dans la biographie classique. Autrefois, la lecture rendait les individus capables de mener une vie qui ressemble à un livre. L’individu, c’est l’animal autobiographique. Aujourd’hui, la bande dessinée martiale est en train de saper l’ancienne culture autobiographique, avec, dans le cas du djihad, la promesse d’une mort précoce comme supplément d’âme. »
Autrement dit, l’avènement de la culture occidentale va de pair avec le désir individuel de faire quelque chose de sa vie. Des individus qui proviennent d’une culture où la communauté (Oumma) tend à prendre plus d’importance que l’individu, plongés dans une culture où la réussite individuelle est primordiale, peuvent opérer un court-circuit sinistre en essayant d’exister non par leur vie, mais par leur mort. Mohamed Merah, dont le seul accomplissement fut de se faire abattre après avoir assassiné huit enfants et adultes, est pourtant une star des banlieues.
L’objectif suprême de ces truands-djihadistes serait de se faire un nom. Comme leurs cursus ne leur permet pas de devenir artistes ou savants, et que la carrière de truand mène à une impasse existentielle (où l’on passe plus de temps en prison qu’en liberté), ils se jettent dans l’horreur, comme Erostrate qui incendia le temple d’Ephèse dans le seul but que l’on retienne son nom.
Cette quête de notoriété est d’autant plus pathétique que dès qu’on cite les noms d’un groupe d’islamistes – avec leurs pseudonymes – tout le monde s’y perd et personne ne les retient. Ceci pour des raisons démographiques et phonétiques. Leur communauté est minoritaire et les sonorités de leur nom restent inhabituelles.
Le problème s’aggrave d’un facteur sociologique. La plupart portent des prénoms et des noms arabes, alors que d’autres immigrés se sont empressés de donner à leurs enfants des prénoms locaux. Le prénom peut-être une forme de compromis culturel. Finkielkraut porte « un nom à coucher dehors », comme il le dit lui-même, mais son prénom Alain a certainement contribué à son intégration. A l’opposé, les prénoms arabes sont à peu près aussi contributifs pour l’intégration qu’un voile sur la tête. Cet obstacle s’ajoute à tous ceux que rencontrent les enfants d’immigrés.
Le problème fondamental est sans doute de ne pouvoir être reconnus par leur culture d’origine, qui ne reconnaît pas pleinement la valeur de l’individu – qui se doit d’être d’abord soumis –, tout en ne pouvant se faire reconnaître par une culture qu’ils rejettent. Il n’est dès lors pas étonnant qu’au-delà du suicide égoïste ou du suicide altruiste, définis par Durkheim, nos djihadistes de banlieue aient découvert le suicide haineux.
Empressons-nous d’oublier leurs visages et leurs noms.
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