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Terrorisme: « Il nous faut affronter un phénomène durable »


Terrorisme: « Il nous faut affronter un phénomène durable »
Thibault de Montbrial (Photo : BALTEL/SIPA)

Propos recueillis par Élisabeth Lévy et Gil Mihaely

Causeur[1. Cet entretien a été réalisé avant l’attentat de Nice]. Depuis mars 2012 et l’équipée meurtrière de Merah, le terrorisme islamiste a transformé beaucoup de nos concitoyens en ennemis impitoyables. Vous avez déclaré en janvier 2015 que la France était en guerre. Comment la mener quand l’ennemi peut être mon livreur de pizza, mon voisin de palier ou mon collègue de bureau ? 

Thibault de Montbrial[2. Avocat au barreau de Paris, président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure. Dernier ouvrage paru : Le sursaut ou le chaos, Plon, 2016.]. À mon sens, c’est dans le changement d’état d’esprit que réside la clé. Péguy disait : « Il faut toujours dire ce que l’on voit, mais surtout, il faut voir ce que l’on voit. » Si la classe politique commence à comprendre, l’ensemble du corps social doit réaliser que les formidables décennies de paix que nous venons de connaître sont terminées. Les attentats de 2015 et de 2016 constituent non pas une vague terroriste ponctuelle, comme cela a pu être le cas en 1985-1986 ou au milieu des années 1990, mais un phénomène durable. Nous sommes désormais confrontés à un islam sunnite de conquête, plus ou moins structuré à l’étranger, mais qui recrute des dizaines de milliers de combattants et de sympathisants parmi des jeunes Français qui vouent à leur pays une haine tenace. C’est à cette réalité qu’il nous faut nous adapter sur le long terme. Ce qui pose un double défi : il nous faut, d’une part, trouver le ressort politique permettant de recréer un projet commun et, d’autre part, mettre en place une politique de sécurité à la hauteur des épreuves qui nous attendent sans faire exploser notre société.

En tant qu’avocat, où placez-vous le curseur entre liberté et sécurité ?

Contrairement à la caricature répandue, les concepts de liberté et de sécurité ne sont pas antagonistes mais complémentaires, dès lors qu’il n’y a pas de liberté sans sécurité pour l’exercer – quel en serait le sens ? L’enjeu, c’est de trouver le juste équilibre pour qu’un niveau satisfaisant de sécurité permette le plein exercice des libertés. Mais si nous relâchions trop la garde au plan sécuritaire, nous pourrions assister à une succession d’actes de violence conduisant, in fine, à l’effondrement de notre société.

Vous n’en rajoutez pas un peu ? 

Non ! Mais beaucoup d’observateurs, comme vous, ou de décideurs, n’ont pas pris pleinement conscience de la réalité de ce risque.[access capability= »lire_inedits »]

Cependant, le traitement policier et judiciaire du terrorisme s’inscrit dans le droit pénal classique applicable aux crimes graves. Pensez-vous qu’il faille prendre plus de libertés que celles qu’autorise l’état d’urgence avec les droits des terroristes présumés ? Faut-il autoriser l’incarcération préventive des personnes « fichées S » ? 

Il faut être extrêmement attentif à ce que le remède ne soit pas pire que le mal. La création de centres de rétention, où seraient internés des gens sur le seul fondement de soupçons résultant de notes administratives, me paraît susceptible de créer plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait : quels critères adopter ? Quelles limites poser ? En revanche, sans doute faut-il prévoir des mesures d’assignation à résidence, afin de faciliter la surveillance d’individus pendant les enquêtes les concernant. Pour nos services de renseignements la multiplication du nombre d’islamistes constitue une difficulté de taille. En dépit des efforts récents, les ressources humaines et matérielles de nos administrations n’ont évidemment pas crû dans des proportions identiques. Par ailleurs, il est urgent de réfléchir aux formalités de détention des islamistes incarcérés dans un cadre judiciaire. À choisir entre deux maux, il me semble désormais préférable de créer une ou deux prisons dédiées et extrêmement surveillées, plutôt que de laisser les islamistes au contact de la population pénale générale au risque, avéré, d’un prosélytisme catastrophique.

Vous êtes par ailleurs l’avocat et l’ami de nombre de policiers. Quel est leur état d’esprit ?

Je ne peux naturellement pas parler au nom de l’institution dans son ensemble. Mais la grande majorité des policiers que je connais, qu’ils soient gardiens de la paix ou très hauts fonctionnaires, ressentent un mélange d’inquiétude et de lassitude. Depuis l’instauration de l’état d’urgence en novembre 2015, les missions s’enchaînent : surveillance liée au terrorisme, organisation de la COP21 sous haute tension, manifestations violentes dans tout le pays, sans oublier la sécurité des stades et des fan-zones… ça fait beaucoup ! Dans tous les services, c’est la même chose : plus d’astreintes, moins de temps de récupération et d’entraînement, et surtout une augmentation considérable de l’exposition aux risques physiques. Le ciblage direct de à leur domicile à Magnanville constitue à cet égard une sorte de point d’orgue. Mais au risque terroriste il faut ajouter une délinquance toujours plus désinhibée dans les violences envers le « bleu », et les sidérants dérapages orchestrés par l’extrême gauche pendant les manifestations contre la loi travail.

À ce sujet, la mission de la police, c’est de garantir la sécurité des citoyens mais aussi leurs droits. Les forces de l’ordre reçoivent-elles les ordres adéquats pour mener à bien cette mission ? Est-il concevable que, dans la bataille de la loi travail, le gouvernement ait cherché à profiter du pourrissement de la situation ?

C’est une question complexe. J’ai reçu différents témoignages directs de cadres chargés de missions de maintien de l’ordre. Tous m’ont fait part de leur perplexité devant certaines instructions. Ainsi, un commandant de CRS a vainement demandé l’autorisation de faire procéder à un « bond offensif » pour neutraliser des individus qui cassaient la chaussée pour récupérer des pavés, manifestement destinés à être projetés sur ses hommes. L’autorité publique a refusé de donner cet ordre, afin de ne pas « faire de provocation ». Une demi-heure plus tard, ces pavés faisaient plusieurs blessés dans les rangs de l’unité de CRS. Pour autant, il est difficile de dire si de tels errements résultent d’une froide stratégie ou bien s’ils n’expriment que l’angoisse de l’exécutif devant le risque qu’un manifestant soit tué. Quoi qu’il en soit, ces atermoiements exposent considérablement les forces de l’ordre. Tous mes interlocuteurs jugent miraculeux qu’aucun policier ou gendarme n’ait été tué en maintenant l’ordre, même si plusieurs ont été très grièvement blessés.

D’après un sondage, une majorité de Français seraient favorables à la torture pour faire parler un terroriste. Que vous inspire-t-il ? 

Il me fait penser qu’il est essentiel que la population puisse constater que le gouvernement – quel qu’il soit – prend des mesures à la hauteur de la gravité de la situation. À défaut, la classe politique sera confrontée à une déferlante de propositions de cette nature, soutenues par une majorité populaire. Il est impératif que la société en général, et la classe politique et médiatique en particulier, change de logiciel. Sinon, la pression des événements pourrait rendre la situation incontrôlable.[/access]

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Été 2016 - #37

Article extrait du Magazine Causeur



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Elisabeth Lévy est journaliste et écrivain. Gil Mihaely est historien.

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