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Attentat de Moscou: faut-il craindre le réveil de Daech?

Quel est le niveau de la menace de l’État islamique ? En partenariat avec la revue « Conflits »


Attentat de Moscou: faut-il craindre le réveil de Daech?
Forces policières à Moscou, suite à l'attentat islamiste du 22 mars 2024 © AP PHOTO/ALEXANDER ZEMLIANICHENKO)/XSG103/24084319726332//2403241000

Comment analyser et comprendre l’attentat de Moscou ? Entretien avec Daniel Dory, docteur en géographie, chercheur et consultant en analyse géopolitique du terrorisme. 


Important : Cet entretien a été réalisé le 26 mars 2024, c’est-à-dire seulement quatre jours après l’attentat. Donc à un moment où l’on ne dispose que d’informations lacunaires et où l’on subit d’intenses campagnes de désinformation. Daniel Dory est membre du Comité scientifique de Conflits. Il vient de publier Étudier le terrorisme, VA Éditions, Versailles, 2024.


Revue Conflits. L’attentat terroriste de Moscou a remis sur le devant de la scène le groupe État islamique. Quelles sont les menaces terroristes toujours présentes aujourd’hui ? Et pourquoi une telle résurgence maintenant ?

Daniel Dory. Tout d’abord, il faut commencer par préciser ce que l’on entend par État islamique aujourd’hui.  Il faut savoir que l’État islamique tel qu’on l’a connu dans les années 2010 est dans un état de décrépitude avancée. Très récemment, d’ailleurs, on a publié dans Conflits (N° 48, 2023, p. 75) un texte sur le fait que leurs califes étaient systématiquement éliminés, et ce le plus souvent dans une zone sous contrôle des Turcs, c’est-à-dire de l’OTAN. Et l’État islamique c’est aussi en grande partie (mais pas exclusivement) le produit des services secrets occidentaux et de quelques monarchies du Golfe qui visaient à avoir un contrepoids, d’une part à al-Qaïda qui est toujours sous contrôle occidental très étroit et à la mouvance chiite plus ou moins liée à l’Iran. 

Depuis la perte de son assise territoriale vers 2017, l’État islamique en déliquescence est devenu, tout comme al-Qaïda d’ailleurs, une sorte de force supplétive plus ou moins mercenaire. Et particulièrement dans le cas de la branche État islamique au Khorassan, qui est très clairement un instrument au service d’intérêts très peu islamiques, et comprend plutôt des gens qui font des attentats de type mercenaire (notamment en Iran…). Et puis maintenant ils apparaissent à Moscou. 

Alors, qu’ils soient impliqués, il ne fait pas de doute. Qu’ils le soient via des acteurs tadjiks est déjà plus intéressant. Il y a des Tadjiks depuis très longtemps impliqués dans différentes entreprises de mercenariat plus ou moins terroristes dans la zone. En grande partie parce qu’il y a une minorité tadjike en Iran et que c’est donc utile pour déstabiliser ce pays. De la même façon que les services « occidentaux » ont gardé avec l’État islamique au Khorassan un moyen de nuire et donc de négocier avec les talibans ; c’est un caillou dans la chaussure que l’on maintient face au nouveau régime afghan. 

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Dans ce contexte-là, l’attaque de Moscou est à regarder avec une grande prudence. Que ce soient des Tadjiks liés à cette nébuleuse – parce que l’État islamique n’est pas un régiment d’infanterie prussien, mais plutôt une nébuleuse gluante et visqueuse comme une méduse – est significatif. Et que cette nébuleuse-là soit impliquée dans l’affaire de Moscou n’est pas douteux. De la même façon que des islamistes et des mercenaires liés à al-Qaïda ont été mis sur le front du côté ukrainien très tôt en 2022-23, avant d’être sans doute décimés par les gens de Wagner. Ils ont ensuite probablement été rapatriés vers la Turquie qui était leur point de départ. La Turquie, d’ailleurs, où au moins deux des terroristes de Moscou se trouvaient très récemment, selon des informations concordantes. Il est tout de même bon de rappeler que l’on est là sur du territoire OTAN. Donc ça c’est le point important. Plus le battage médiatique de tous les moyens d’information et de désinformation « occidentaux », en commençant par les États-Unis, qui ont signalé quand les cadavres étaient encore chauds (là, au sens littéral), que ce n’était surtout pas les Ukrainiens qui avaient commandité l’attentat. 

Alors que pour des attaques comme le Nord Stream, le 11 septembre, et une série d’attaques plus récentes comme les attentats de Paris, on a encore beaucoup de mal à comprendre vraiment les tenants et les aboutissants. Mais ici, l’idée que c’est l’État islamique, comme si l’État islamique était une entité hostile monolithique, est imposée à l’opinion publique dans une campagne qui ressemble beaucoup à de la désinformation tant que des faits solides ne seront pas présentés. 

Est-ce que la situation actuelle de la guerre en Ukraine a profité aux groupes terroristes ?

Je ne pense pas que cela ait profité de façon décisive. Il est simplement vraisemblable qu’il y ait eu, dans le cadre des opérations clandestines, une utilisation des gens de la mouvance État islamique tadjik pour faire un coup. Et ces acteurs ont d’ailleurs été attrapés dans des circonstances bizarres. Parce que ça, c’est quand même aussi à signaler. Mais enfin, on les a capturés. Et le discours qu’ils tiennent, c’est qu’ils ont été payés ou qu’ils allaient être payés un demi-million de roubles [environ 5 000€] (ce qui n’est quand même pas très cher payé, pour faire cette tuerie) et qui ne correspond pas du tout avec le profil des djihadistes habituels de l’État islamique, qui généralement essayent de mourir sur place, et ne préparent pas de façon aussi évidente leur fuite. Donc ils ont un profil qui est typiquement mercenaire et différent du djihadiste pur et dur qui se bat pour autre chose qu’un demi-million de roubles.

Je voulais revenir avec vous sur l’organisation islamique au Khorassan. Quelles sont ses revendications et comment se profile son expansion territoriale ? Quel est son véritable projet?

C’est un groupe qui est destiné, comme je viens de le dire, à déstabiliser surtout les talibans et à permettre de négocier, par l’intermédiaire de la menace terroriste, des points sur lesquels les Occidentaux ont besoin de négocier. L’État islamique au Khorassan, c’est une entreprise multinationale dont on a beaucoup de mal à comprendre le lien avec l’État islamique “central”, dont les restes de résidus se trouvent principalement dans le nord-ouest de la Syrie, où les califes successifs ont été éliminés. 

Et donc la situation est telle que l’on a beaucoup de mal, bien sûr, à cerner la réalité de l’État islamique au Khorassan. C’est-à-dire qu’il fait des attentats en Afghanistan, il fait des attentats en Iran, il en fait quelques-uns ailleurs, et c’est un faux-nez parfait. C’est par ailleurs une entité qui existe tout en étant nébuleuse, mais c’est un faux-nez parfait pour des opérations qui sont commanditées par différents États ou services, etc. Comme le terrorisme moyen-oriental en général. 

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C’est d’ailleurs une caractéristique du terrorisme moyen-oriental que d’être mis en œuvre par un ensemble de milices et de groupes qui dépendent de façon fluctuante de différents États qui les financent, qui les maintiennent en perfusion et qui les font disparaître le moment venu. 

Là, on a affaire à une milice mercenaire qui est à la disposition de différents acteurs. Et donc, je pense que lorsque les services russes regardent vers l’Ukraine, ce n’est pas de la paranoïa ; cela relève du bon sens, mais ne veut pas dire que ce soit absolument vrai. En tout cas, c’est quelque chose qui présente une très grande probabilité. Et il y a des indications, des signaux faibles qui ont déjà été donnés depuis quelques semaines là-dessus, et que l’enquête en cours devra élucider.

Est-ce qu’aujourd’hui on peut craindre une attaque d’une même ampleur dans les pays occidentaux ? On sait que la France est passée en “urgence attentat” à la suite de l’attentat en Russie. Est-ce qu’il y a un risque pour les pays occidentaux aujourd’hui ?

Le risque est permanent. Mais il n’y a pas de raison de penser que les facteurs de risque qui existent en Europe et en France en particulier soient accrus à la suite de cet épisode-là. La mise en alerte maximum est surtout une opération de communication visant à…

>> Lire la fin de l’entretien sur le site de la revue Conflits <<

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Rédacteur à la revue de géopolitique "Conflits"

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