Ce n’était pourtant pas la première fois que le comédien à succès américain, Jerry Seinfeld, faisait part de son dégoût pour le politiquement correct et la culture woke. En 2015 déjà, l’humoriste avait décidé de ne plus se rendre sur les campus américains, car les étudiants y étaient devenus trop facilement offensés par ses blagues. Ses derniers propos, tenus dans un podcast du journal The New Yorker1, et son soutien au peuple juif après le 7 octobre, lui valent de nombreuses nouvelles inimitiés.
Décidément, quand il s’agit d’humour, on ne plaisante pas. C’est du moins l’impression que dégage l’étrange affaire suivant les déclarations de l’humoriste américain Jerry Seinfeld, le 28 avril dernier.
Invité de l’émission The New Yorker Radio Hour, il dressa un sombre portrait des nouvelles séries comiques télévisées, estimant que « l’extrême gauche et ces conneries politiquement correctes », ainsi que « la crainte constante d’offenser quelqu’un » (traductions de l’auteur) menacent l’existence même de l’humour à la télévision. Évoquant les multiples comités et groupes de pression examinant et réécrivant les scénarios avant qu’ils ne soient approuvés, il insinua que les grandes productions hollywoodiennes finiront par condamner le genre comique aux oubliettes, tant les risques de complication sont élevés.
À moins que l’on se fût cantonné dans son salon ces quinze dernières années sans lire un seul journal, ces propos n’expriment rien de nouveau et ne devraient plus choquer personne. Et bien que venant d’un humoriste avec une connaissance intime du show-business, cette opinion ne diffère pas, au fond, de la philosophie de comptoir.
Et pourtant, quel scandale a-t-elle causé. Réactions enflammées de célébrités bien-pensantes, déferlements sur les réseaux sociaux, articles, podcasts et reportages : du jour au lendemain, Seinfeld est devenu la nouvelle cible – puisqu’il en faut au moins une par mois, on dirait – d’une campagne de « cancel culture ». Mais comment l’expliquer, considérant la banalité relative de ce qu’il avait dit ?
C’est parce que, pour les garants du discours acceptable, ces mots anodins se transforment en menace lorsque proférés par une figure aussi influente que Jerry Seinfeld. Pour rappel, il est l’un des comiques les plus appréciés du monde anglo-saxon, tant grâce à sa série éponyme des années 1990 qu’à ses spectacles de stand-up qui, encore aujourd’hui, remplissent les plus grandes salles.
La gauche adore scander que « tout est politique ». L’humour, en l’occurrence, a cette capacité unique de combiner la légèreté, le rire et l’insolence avec la dérision, l’ironie et le ridicule. Ainsi, les spectacles de stand-up, les séries et films comiques, allant jusqu’aux blagues qu’on se lance au quotidien, sont autant de champs de bataille où des idéologies, derrière les sourires, visent à s’abattre les unes les autres en quête du grand trophée, c’est-à-dire du rire le plus éclatant.
D’où la panique du soi-disant camp du Bien, apprenant qu’une légende de l’humour ait démasqué la tentative, et l’échec, de l’extrême gauche d’imposer ses dogmes à la culture populaire. Seinfeld aurait pu tout aussi bien dire : « Ces gens sont si dépourvus de légèreté qu’ils donnent à Hollywood, la religion du divertissement, l’envie d’enterrer le genre tout court ! »
Et pourtant, avec ces crises de rage, la gauche, sans le vouloir, a réalisé son plus grand exploit comique. Car quoi de plus marrant que de voir quelqu’un se fâcher pour le simple fait d’être traité de pas drôle ?
- Jerry Seinfeld a estimé que le politiquement correct était en train de détruire l’humour. “This is the result of the extreme left and PC crap, and people worrying so much about offending other people. When you write a script and it goes into four or five different hands, committees, groups — ‘Here’s our thought about this joke’ — well, that’s the end of your comedy.”
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