Jacques Attali, sinistre technocrate au pouvoir depuis trente ans, insignifiant esprit qui dispute à quelques autres l’honneur de ridiculiser à tout jamais le concept d’intellectuel français, aussi méprisé du bas-peuple dont je m’enorgueillis de faire partie qu’il est révéré des puissants, a eu chez Ruth Elkrief ce dernier trait qui signe sa définitive cacochymie : « La France n’est pas spécialement chrétienne. »
Comme je suis catholique, on m’accusera bien entendu d’être en la matière juge et partie, mais qu’on veuille noter cette remarque d’abord : si j’étais Irakien chrétien ou juif ou zoroastrien, je crois bien qu’il ne me passerait jamais par la tête d’affirmer l’œil clignotant : « L’Irak n’est pas spécialement musulman. » On veut bien admettre que la République française se soit bâtie pour partie contre le pouvoir de l’Eglise, avec qui elle avait des comptes à régler. On veut bien qu’elle ait mis sur pied certaine laïcité qui visait à rendre l’Etat religieusement neutre. Mais le révisionnisme historique doit, par décence, respecter quelques limites. Il y a des barrières que l’intelligence ne franchit pas, dès lors qu’elle a quelque culture à quoi s’abreuver, dès lors qu’elle dispose de quelque science à quoi se nourrir. Cela qui fait défaut à notre bon maître Attali qui va, paterne, son chemin de réinvention et de reconstruction de l’histoire de France. Le président de la Commission pour la libération de la croissance française joue avec la vérité comme mes enfants aux Legos un mercredi après-midi d’hiver : il invente son roman national selon ses humeurs, et il bâtit sa tour en interchangeant les événements du passé, s’il veut et quand il veut. Car il poursuit, après son affirmative insolence, sous le regard crépitant d’admiration de dame Elkrief : « La France a été juive avant d’être chrétienne, certaines régions de France ont été musulmanes avant d’être chrétiennes. » Si sa première proposition est fausse, elle l’est un peu moins que la seconde : il est permis de dire qu’il y eut des juifs en « France », c’est-à-dire en Gaule romaine, avant qu’il y eut des chrétiens, pour la bonne raison que ceux-ci n’existaient pas entre 52 avant le rabbi crucifié et 35 après lui (à la louche). De là à extrapoler que ces juifs-là de cette époque-là, sans doute assez peu nombreux, aient durablement marqué la physionomie de ce qui deviendra la France, il y a une aventure que seul Attali, érudit comme un Mommsen du XXIe siècle, dépoussiéreur de parchemins averti, féru d’inscriptions antiques et archéologue confirmé, est en mesure de vivre. Nous ne l’y suivrons pas.
Mais c’est quand notre benêt œcuménique franchit le second pas que la conscience se révolte, à moins que ce soit la rate qui se dilate, ou la glande hesselienne qui s’indigne : certaines régions de France auraient été islamisées avant que le moindre chrétien d’importance y pose le pied. On voit à quoi l’énarco-normalien fait allusion, on conçoit quel paralogisme a pu sourdre de la brumeuse cuisine qu’est ce crâne où ronfle à petits bouillons sans trêve son intelligence : il y a eu une conquête musulmane, venue d’Afrique du Nord, aux alentours des VIIIe et IXe siècles qui, dans sa lancée ibérique, même arrêtée par Charles Martel (on ne sait pas s’il a existé celui-là, mais simplifions), a tenu longtemps quelques territoires qui avaient été gaulois puis romains, puis ostrogoths et wisigoths, puis francs avant que d’être français un jour : la Narbonnaise, Orange, Arles, le Var, etc.
Jacques Attali, qui a trop de choses à savoir, et à la fin c’est épuisant, c’est pas de sa faute s’il n’a pas pensé à acheter du pain en rentrant, a juste oublié l’espace d’un instant qu’il s’était passé quelques trucs pendant six siècles dans ces lieux, et que même s’il n’était pas né, et Mahomet non plus, on avait déjà inventé les évêques comme Hilaire d’Arles, les anachorètes comme saint Césaire et même saint Tropez pour le cas où Louis de Funès et Brigitte Bardot voudraient y faire un tour 1600 ans plus tard. On avait déniché l’idée des prêtres, des moines et des moniales, c’est même par Marseille qu’Honorat et Jean Cassien introduisirent le monachisme en Occident ; on avait convoqué des conciles locaux et œcuméniques, fulminé contre cent hérésies dont même Alain Juppé ne parviendrait pas à retenir la simple liste, rassemblé des bibliothèques gigantesques et la pourpre de certains empereurs avait bercé l’enfant christianisme pour qu’il grandisse.
A moins que Constantin quand il voulait aller de Rome à l’Ibérie ait systématiquement fait un détour par l’Helvétie pour éviter de tomber sur un minaret entre Marseille et Sète. A moins que Marie-Madeleine n’ait pas été vénérée dans la Sainte-Baume au IVe siècle. A moins qu’Augustin le Berbère ait projeté d’aller évangéliser la Provence aux mains des mahométans. A moins que les Saintes-Marie-de-la-Mer aient été bâties par Viollet-le-Duc au XIXe. A moins qu’il n’y ait pas eu de concile à Arles en 314. A moins qu’il n’y ait jamais eu de cathédrale à Marseille, Avignon, Agde, Narbonne et Carcassonne avant Bernard de Clairvaux. Bref, si Attali nous dégotte les ruines de deux mosquées pour celles de trois mille églises dans la région, je lui tire mon chapeau.
Non, pauvre Jacques, le secret, je vais te le dire : c’est que la France était chrétienne avant qu’elle soit la France et c’est même seulement comme ça qu’elle a pu devenir la France. C’est ça le secret de ses racines chrétiennes et ce n’est pas parce que ton ami Sarkozy qui n’est pas le mien va radotant ce refrain que je vais m’interdire de le penser et de le savoir et de le démontrer.
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