Mardi, alors que tout le monde avait les yeux rivés sur la motion de censure visant le malheureux Michel Barnier, Gabriel Attal et Elisabeth Borne étaient introuvables.
On connaît l’expression « Passez-moi la rhubarbe, je vous passerai le séné ». Cela se dit lorsque deux personnes, agissant par intérêt, se prétendent disposées à s’accorder mutuellement quelques faveurs. Tout cela se fait le plus souvent sous le manteau, le procédé – effectivement entaché d’un fort esprit de magouille – ne sentant pas très bon. Le séné et la rhubarbe, ne l’oublions pas, sont classés laxatifs dans la pharmacopée traditionnelle. Nonobstant, le recours à cet usage est des plus fréquents en politique, domaine, il est vrai, où les professionnels de la profession ne sont pas du genre à se pincer le nez devant ce qui pue.
Edouard Herriot, qui n’était pas avare de formules hilarantes et décapantes, n’avait-il pas coutume de lâcher : « La politique, c’est comme l’andouille. Ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop » ? Sur ce point, il faut bien dire que depuis le grand festival séné-rhubarbe de l’entre deux tours des législatives, nous sommes servis. On pourrait même affirmer sans crainte aucune d’être démenti que le « sentir mais pas trop » recommandé par le fin connaisseur Herriot est dépassé de beaucoup.
Rendez-vous secret
Nous en avons eu une – nouvelle et anecdotique – illustration ces jours derniers à l’occasion d’une tractation de ce genre, en catimini, entre deux personnalités de premier rang, puisque passées par Matignon.
Nous sommes mardi dernier. L’actuel hôte de ce même Matignon se trouve confronté à sa première motion de censure. Il est 16h. Il pourrait s’offrir une petite sieste, la gesticulation parlementaire de la gauche fera long feu.
Motion rejetée. Les deux prédécesseurs de l’actuel Premier ministre brillaient par leur absence. Ils avaient – ensemble – ce rendez-vous secret. Une entrevue où devait être discutée quelque chose comme la teneur précise de la rhubarbe et du séné. En jeu, la candidature au poste de secrétaire général du parti Renaissance. Élection prévue en novembre prochain.
A lire aussi, Ivan Rioufol: Marseille: quand des gamins tueurs défient l’État désarmé
Élisabeth Borne s’est déclarée candidate de longtemps. Mais voilà bien que le jeune et remuant Gabriel Attal se prend à lorgner aussi sur ce trophée, bien qu’il soit déjà président du groupe parlementaire à l’Assemblée. Depuis qu’il a dû lâcher l’os (à moelle) de Matignon, on ne retient plus l’Attal cannibale. Il veut tout. Et tout de suite. L’homme a les belles dents de la jeunesse et il les a très longues. Or, Madame Borne n’entend pas renoncer aussi aisément. Elle trouve que trop c’est trop et que l’Attal, justement, les dépasse, les bornes (Je sais, facile. Mais tellement tentant…).
D’où l’entrevue secrète. Elle a pour cadre le domicile d’un proche du président Macron. Ce qui a intrigué les observateurs à l’affût de ces choses-là, c’est que la rencontre ait eu lieu justement loin des territoires habituels où se jouent les affaires de la politique. Là, on franchissait la Seine, carrément, on s’aventurait dans un de ces quartiers où il n’y a ni ministères, ni institutions d’État. Bref, si vous préférez, là où les gens vivent de leur travail.
Une élection dont les modalités seront connues ce jeudi 10 octobre dans la soirée
Il est clair que l’ambitieux Attal n’est pas venu à ce quatre à cinq sans biscuits, sans quelque arôme particulièrement entêtant à fourrer dans la vapoteuse de Mme Borne. Aura-t-elle été sensible à ses arguments, à ses offres de dédommagement ? Aura-t-il suffi que son challenger se fende d’un mix bien corsé Séné / Rhubarbe ? Nous devrions le savoir très vite.
Après ce sont les militants qui, lors du congrès, auront à se prononcer. Sans surprise aucune, ils le feront dans le sens qui aura été décidé à leur insu, en catimini, lors de cet énième épisode de l’interminable, l’indémodable feuilleton « la démocratie dans le boudoir ». De plus, ils se verront priés d’applaudir très fort et de trouver que tout cela sent malgré tout très bon.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !