Le roman d’Astrid Monet, dont le titre est emprunté à un hémistiche de Baudelaire, Loin du noir océan, nous ramène au début des années 90 lorsqu’éclata l’affaire du sang contaminé. Le pouvoir politique fut frappé de plein fouet par ce scandale sanitaire et financier, qui fit des milliers de victimes. Laurent Fabius, Premier ministre, et Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales, en firent les frais, mais sauvèrent « leur peau », puisqu’ils furent relaxés, après une longue procédure judiciaire aux multiples rebondissements. Dufoix eut même cette formule restée célèbre : « Responsable mais pas coupable ».
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Astrid Monet raconte l’histoire de Sullyvan, qui décide de partir en Espagne, à Barcelone, après la mort de son frère, Malone, en 1998. Ce dernier, hémophile, a été contaminé par ses innombrables transfusions sanguines. Pourquoi Barcelone ? Parce que Malone voulait visiter la capitale de la Catalogne. Sullyvan en profite pour échapper à l’atmosphère familiale délétère. D’un côté, la mère qui se sent coupable d’avoir elle-même fait les injections de ce sang impur, contaminé par la cupidité et la lâcheté des médecins et des responsables politiques ; de l’autre, le père, homme faible qui sombre dans l’alcoolisme. Alors il lui faut prendre la route pour tenter de comprendre pourquoi Malone désirait tant voir Barcelone. Avec le blouson de cuir de son frère, trop lourd à porter, Sullyvan déambule dans les rues bigarrées, sur la longue plage, dans la chaleur moite. En le suivant pas à pas, on éprouve la même oppression que lui. L’atmosphère est particulièrement bien rendue grâce à la sensibilité d’Astrid Monet. On ne pense plus au sida, à la bassesse des hommes de pouvoir, à ce scandale mondial qui aurait pu être évité, mais aux rencontres que fait le frère de Malone, à la musique qui l’envoûte, aux mystères d’un pays couleur pourpre. Extrait : « Nous vivions la nuit, visages livides comme des vampires, aspirant la fraîcheur des jeunes femmes, étudiantes ou touristes, ivres de joie, de rencontres. Je me perdais dans le tourbillon de la musique, du bruit. » Au bout de la noirceur, il y a, peut-être, la lumière, l’amour, la vie. Ce beau roman est une invitation au voyage. Ne le refusez pas.
Astrid Monet, Loin du noir océan, Fayard.
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