À un mois de Noël, les librairies les chérissent, les exposent, les empilent et les vendent déjà par dizaines de milliers d’exemplaires…
Sans eux, la fête serait moins folle ! Et les ventes de fin d’année moins belles. Ils sont, à la fois, les sauveurs d’une économie fragile et les souteneurs du secteur. Ils font des jaloux, surtout chez les primés de novembre qui pensaient rafler la mise. Les romanciers, heureux lauréats des prix d’automne, n’aiment guère cette concurrence populiste venue du fond des âges. Les bandeaux rouges « Goncourt », « Renaudot », « Femina » ou toute autre distinction honorifique ne pèsent pas lourd face à une potion magique, un gaffeur, un marin ombrageux, un cowboy solitaire ou un colonel blond platine en veston croisé à l’ONU. Comment résister à l’attrait du passé ? Le marché du livre repose depuis quelques années déjà sur la résurrection ou la prolongation des héros de notre enfance. Le filon est trop juteux. Un héros qui n’aurait pas aujourd’hui de descendance se verrait contraint à l’oubli. Perpétuer le mythe, c’est la possibilité de réimprimer à l’infini les vieux albums et renouveler ainsi les générations d’acheteurs.
Marketing régressif
Il s’agit là, d’un ressort naturel mu par un marketing régressif hautement efficace et le goût pour des choses déjà connues du public. Le lecteur est casanier, prévisible, réactionnaire par instinct, rétif à la nouveauté, surtout lorsqu’elle lui est imposée au forceps, seulement explorateur de son propre imaginaire qu’il a foulé des milliers de fois ; c’est un bourgeois somnolent, répétitif, « encré » dans ses habitudes qui apprécie avant tout son confort et qui a le désir inconscient de retrouver l’état de béatitude de ses treize ans.
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L’achat d’une BD avec une tête d’affiche gravée dans notre mémoire est l’assurance, à peu de frais et sans mal de mer, de se replonger sous sa couette dans les profondeurs de sa jeunesse ; loin, très loin de la barbarie ambiante, de cette insécurité qui nous étreint, à des années-lumière des faillites morales et des gesticulations politiques, en opposition totale aux déconstructeurs. Les médias, perpétuels redresseurs de torts, passablement irrités par cette mollesse d’esprit veulent absolument nous transformer en suffragettes, en « boomers » repentants, en hommes éclairés qui s’intéresseraient aux problèmes de la planète et aux injustices immanentes, mais nous, rois fainéants dans nos sofas, imperméables aux discours victimaires et aux cantiques de la racaille, revendiquons seulement notre droit à la nostalgie. A « 2 minutes 35 de bonheur » comme le chantaient Carlos et Sylvie Vartan. Finalement, cette forme de résistance aux forces progressistes est peut-être le signe d’une permanence civilisationnelle, celle d’une (dernière) lueur de lucidité, d’une opposition certes dérisoire car silencieuse et néanmoins fondatrice, constitutrice de ce qui a fait la France (la blague potache, la colère feinte, la mauvaise foi, les petits qui se rêvent grands, le désir d’aventure, l’indépendance, la liberté d’opinion, la camaraderie et l’anarchie rieuse). Un peuple qui continue de lire Astérix, Gaston ou Alix conserve les traces de son Histoire, il s’inscrit dans le temps long et ne solde pas sa tendresse.
N’oubliez pas Clifton !
Daniel Guichard appelait cette tendresse de tous ses vœux. « C’est refaire pour quelques instants un monde en bleu/ Avec le cœur au bord des yeux » disait-il, de sa voix délicieusement ouvriériste. Et nous en avons de la tendresse pour nos personnages en cases, surtout s’ils restent « droits dans leurs bottes » et ne singent pas les affres de la modernité. Il n’y a rien de plus triste et désespérant que de lire un personnage jadis aimé se vautrer dans les tourments actuels et adopter la panoplie factice du donneur de leçon. Pour toujours, dans nos têtes mal faites, Astérix sera un bagarreur attaché à sa terre natale et Obélix un naïf à l’appétit rabelaisien. Quant à Gaston, cet antisystème qui s’ignorait demeure l’archétype de l’étourdi prérévolutionnaire. Parmi les « vieux nouveaux » de cette rentrée BD 2023 dont les piles encadrent l’entrée des librairies et des marchands de journaux, Corto Maltese (Martin Quenehen/ Bastien Vivès) a toujours une belle gueule de réprouvé, toujours aussi embourbé dans la mouise et ses errances féériques ; le retour de Lagaffe signé par le canadien Delaf est très respectueux de la mémoire de Franquin et est empreint d’une étonnante virtuosité dans la déferlante des gags ; l’aventure de Blake et Mortimer à New-York manigancée par Floc’h, Fromental et Bocquet pourra désappointer, dans un premier élan, les amateurs de phylactères copieuses et tartinées, mais cet ascétisme stylistique, dans la plénitude des lignes et les aplats de couleurs a quelque chose d’envoûtant, presque d’hypnotique ; Alix enquête toujours au service de César, il voyage en Thessalie en pleine guerre civile dans les ruines du palais d’Ulysse à Ithaque ; je garde pour la fin, mon attachement, mon adoration, ma lubie pour celui qui n’a pas la renommée méritée, je parle de Clifton, le personnage créé par Raymond Macherot, le 24ème album (Turk et Zidrou) vient de sortir. J’aime tout chez ce colonel aux belles bacchantes à la retraite, l’Angleterre de carton-pâte pluvieuse, la MG rouge, le bobby irascible, la gouvernante retorse, les chats, etc…
Corto Maltese – La reine de Babylone – Hugo Pratt – Martin Quenehen – Bastien Vivès
Le retour de Lagaffe – Delaf – Dupuis
L’Art de la guerre – Une aventure de Blake et Mortimer à New York – Floc’h – Fromental – Bocquet – éditions Blake et Mortimer
Un autre regard sur Blake & Mortimer - L'Art de la guerre
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Le Bouclier d’Achille – Alix – Roger Seiter – Marc Jailloux – Jacques Martin – Casterman
Le dernier des Clifton – Turk et Zidrou – Le Lombard
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