Députée européenne et militante pour un nouveau féminisme, la Belge Assita Kanko est l’exemple d’une intégration parfaitement réussie. Malgré son agenda chargé, elle a accepté de causer immigration et intégration avec Causeur.
Alexis Brunet. Madame la députée, vous connaissez bien la France, la Belgique et les Pays-Bas. Ces pays sont-ils inéluctablement voués à être des sociétés multiculturelles?
Assita Kanko. Vaste question (Rires). Pour moi, il y a un socle de valeurs en Europe, et ces valeurs doivent être nos valeurs communes. Quelle que soit la culture d’où l’on vient ou sa religion, on doit s’adapter et on doit faire en sorte que ces valeurs-là deviennent les nôtres. En Europe, les lois priment en principe sur les normes religieuses et culturelles, ce principe devrait être appliqué à tout le monde sans exception.
Vous parlez de la primauté des lois mais les cultures restent prégnantes. Le relativisme culturel est-il trop important en France?
Ce relativisme culturel existe un peu partout en Europe et pas seulement en France. Dans le cadre de mes travaux de terrain, j’ai constaté qu’il y avait différentes approches en fonction des origines des gens, surtout quand il s’agit d’être exigeant. En Grande-Bretagne, j’ai vu des tribunaux islamiques et des situations où l’on va traiter les femmes musulmanes d’une autre manière, comme si elles n’avaient pas le droit d’accéder à la même justice que les autres femmes. J’estime que ceci est une discrimination violente et un abandon des populations, alors qu’on mérite tous d’avoir accès à la même justice, et que tout le monde doit avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ce relativisme culturel je l’ai aussi constaté dans mes débuts politiques en Belgique. Parfois, on y est moins exigeant avec certaines populations au prétexte qu’elles n’ont pas la même culture, surtout quand il s’agit des droits des femmes. C’est une tolérance mal placée, je pense même que c’est une insulte, comme si une partie de la population était moins capable de faire face aux mêmes exigences que le reste. Je pense que c’est une forme de racisme. Ce relativisme culturel est basé sur le communautarisme, ce qui gangrène nos sociétés. Et les personnes issues de l’immigration qui travaillent dur pour faire partie de la classe moyenne en sont les premières victimes.
En France, on parle régulièrement d’un risque de balkanisation de la société. Qu’en pensez-vous?
Ce qu’on peut constater, c’est que le risque de sociétés parallèles est bien là. Le terme « séparatisme » utilisé par le président Emmanuel Macron est à mon avis bien choisi. J’ai eu de l’espoir en l’écoutant. Je dénonce depuis longtemps le fait que tant de gens ne vivent pas ensemble mais les uns à côté des autres. Ceci est un terrain pour l’émergence de sociétés parallèles, de sociétés où les gens ont leurs propres couloirs de vie avec des magasins séparés, des fréquentations séparées, des médecins séparés, et même des écoles ou des tribunaux séparés, des droits différents en fonction du sexe. La séparation entre les garçons et les filles imposée dès l’enfance existe dans certains pans de la société. On y impose un mode de vie différent aux filles, qui comprend l’obéissance, la soumission, tout ce que l’on devrait rejeter, tout ce que j’ai rejeté toute ma vie pour être une femme libre. Je pense qu’il faut absolument éviter l’émergence de sociétés parallèles. On doit se retrouver ensemble, se mélanger, s’aligner derrière les valeurs de nos sociétés et respecter leur contrat social qui comprend des droits et des responsabilités, autrement on ne s’en sortira pas.
Il y a aussi le problème de la langue. Quand je donnais des cours de français pour l’Office Français de l’immigration et de l’intégration, j’ai eu affaire à des personnes présentes en France depuis dix, douze ans et qui avaient toujours un faible niveau de français, ce qui acte un séparatisme de fait. N’est-il pas déjà trop tard?
Je ne suis pas de ceux qui pensent que c’est trop tard dans le sens où dans ce cas-là on peut aller se coucher et ne rien faire mais je pense qu’il est urgent de se réveiller et de faire quelque-chose pour réussir l’intégration. Aujourd’hui, on ne peut pas se permettre d’avoir une partie de la population qui ne comprend pas la langue du pays où elle est installée, et qui ne pourra donc pas trouver un emploi, qui ne pourra pas aider ses enfants à faire ses devoirs, qui ne pourra pas lire les informations dans les journaux, qui ne pourra pas participer à la société. La langue est la première porte à franchir pour s’intégrer. Elle m’a ouvert des portes en Flandre où de nombreuses autres personnes ont également saisi l’opportunité d’apprendre la langue. Quand j’étais petite au Burkina Faso je connaissais le travail de Simone de Beauvoir mais j’ignorais que la langue néerlandaise existait. J’estime que tout personne immigrée doit faire l’effort de s’intégrer, de saisir les opportunités qui sont offertes, de rencontrer des gens en dehors de sa « communauté », il y a plein de possibilités pour cela. De plus, apprendre la langue, c’est beaucoup plus que la langue, on apprend aussi le langage de la société où l’on est, sa culture, ses traditions.
Votre parcours est exemplaire mais vous êtes venue seule en Europe. Il y a des étrangers venant du Moyen-Orient ou même d’Asie qui ont mis quatre, cinq ans pour s’intégrer puis de la famille éloignée arrive en France et là patatras, leur culture d’origine reprend le dessus. Peut-on vraiment lutter contre le communautarisme sans remettre sérieusement en cause le regroupement familial?
Je pense que tout est dans la nuance. Le regroupement familial n’est pas mauvais par essence. Les gens ont le droit de s’aimer sans se préoccuper des frontières. Tout est question de dosage, de contrôle, d’organisation et de respect d’un contrat avec le pays d’accueil. Si on choisit de rejoindre un membre d’une famille en Europe, on doit aussi choisir d’épouser la société européenne. Au sein du parti Nouvelle Alliance flamande, nous sommes partisans de critères assez stricts mais justes. Nous estimons que pour faire venir un membre de sa famille, il faut déjà subvenir à ses propres besoins. Il faut mettre des conditions strictes et les faire respecter. Maintenant, on constate qu’il y a une tendance, chez beaucoup de nationalités, à aller chercher un conjoint ou une épouse « au pays », souvent une femme jeune et forcée. C’est un symptôme du manque d’intégration, du manque de mélange des gens ici. Il y a aussi des cultures où il y une obligation pour la femme de se marier avec quelqu’un qui a la même religion. C’est le cas pour beaucoup de femmes musulmanes. Souvent elles ne vont pas le choisir elles-mêmes, l’homme va être cherché à l’étranger. Il y a aussi des hommes qui vont systématiquement aller chercher une épouse à l’étranger. Si la motivation est alors d’aller chercher des gens qui ne connaissent pas l’alchimie ici, qui vont rester à la maison, qui ne vont jamais être indépendants financièrement, il y a alors un problème. Ça veut dire que dans de nombreuses maisons il y a des femmes qui ne sont pas libres et qui dépendent d’un conjoint qui lui-même n’a pas su trouver son chemin ici. Et qui paie pour tous ces gens? Les autres personnes qui travaillent.
Pensez-vous que l’Union Européenne soit réellement capable de lutter contre le communautarisme?
Je me demande si l’Union Européenne est capable de lutter contre quoi que ce soit, mais si je suis députée européenne, c’est parce que je veux contribuer à faire en sorte que l’Union Européenne continue à porter ses valeurs car c’est un beau projet. Mais c’est aussi un projet qui demande beaucoup de courage, et quand les Britanniques sont partis, l’Union Européenne n’a pas voulu faire son introspection. Quand il y a séparation, les torts sont souvent partagés. Par rapport aux gros défis de notre début de siècle, l’Union Européenne n’a pour l’instant pas été à la hauteur. Par exemple, concernant l’émancipation de la femme sur le sol européen, l’Union Européenne accepte de brader ses valeurs. Nous sommes quand même dans le continent des Lumières et de Simone de Beauvoir, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser tomber les femmes et de permettre l’émergence de sociétés parallèles. Sur la question de la radicalisation de ces personnes qui se retournent, comme on l’a vu avec le dernier attentat de Charlie-Hebdo, il y a aussi un manque de courage de la part de l’Union Européenne. Il faut aussi un poids au niveau géopolitique. Or, l’Union Européenne manque de poids. Quand on regarde ce qui se passe dans le Sahel aujourd’hui, l’Union Européenne laisse la France toute seule. Et le haut représentant Borrell est très timide. Peut-être que sur le plan de la sécurité et de la défense, on aurait mieux fait d’avoir une Française (Rires). Prenons maintenant le cas de la Turquie. La Turquie peut faire tout ce qu’elle veut, nous rire au nez, et on continue toujours à lui tendre une serviette pour qu’elle essuie ses larmes, car elle a tellement ri qu’elle en a les larmes aux yeux. Il y a une vraie lâcheté de la part de l’Union Européenne et j’ai honte pour cette Europe-là. Mais je crois qu’elle peut avoir plus de force, plus de valeur ajoutée pour chacun des 27 pays membres si elle est incarnée par des gens plus courageux.
Et par rapport à la question migratoire?
Un des plus gros défis de l’Europe, c’est de gérer l’immigration justement. Avec le « nouveau Pacte migratoire », il y a eu un effort de fait par la commission. Des sujets tabous comme la lutte contre les trafiquants d’êtres humains et les retours sont abordés ouvertement. C’est insuffisant mais c’est pour la toute première fois un petit pas dans la bonne direction. Ces propositions de réformes rejoignent un peu plus le centre-droit et les 27 États membres auront leur mot à dire. Au Parlement européen, la gauche était furieuse et l’extrême droite n’était pas contente non plus. Je pense qu’il y a eu un mouvement vers le centre-droit. Cependant, il y a beaucoup d’optimisme dans cette réforme au niveau de l’agenda et de la faisabilité. Il faut donc veiller à ce que ça ne reste pas qu’une déclaration d’intention, il faut qu’il y ait vraiment un plan derrière. Ce qui manque parfois au niveau européen, c’est de passer des paroles à la pratique. Il faudra des accords avec d’autres pays que la Turquie et il faudra aussi peser au niveau international pour résoudre le problème à la base. Il faut avoir un plan pour la politique migratoire qui ne se résume pas à l’abandon aux trafiquants d’êtres humains. Une vraie politique migratoire consisterait à ne pas laisser les personnes désespérées aux mains des trafiquants d’êtres humains. La plupart des gens ne sont pas contre l’immigration, ils veulent juste une immigration ordonnée, choisie, et une intégration réussie.
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