Les problèmes posés par la consommation « éthique » prônée par l’association « pour une consommation éthique »
L’ère de la consommation sans foi ni loi arriverait-elle à son terme ? C’est en tout cas ce que souhaite l’association « pour une consommation éthique ». Comme son nom l’indique, l’association tient à ce que le consommateur soit informé au mieux de toutes les caractéristiques « éthiques » du produit, grâce à un étiquetage renforcé mentionnant le contexte politique du pays de provenance. Or, une invasion du politique dans notre assiette, n’est-ce pas courir le risque d’ouvrir la boîte de Pandore ? Pour comprendre les enjeux de cette association, j’ai interrogé son avocat.
L’affaire Psagot comme point de départ
Elie Weiss, du cabinet Briard, Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, qui représente l’association, m’explique que l’affaire Psagot est en quelque sorte le point de départ de la réflexion menée autour de la consommation éthique. En 2016, le ministre français de l’économie a émis un avis prescrivant aux importateurs de produits alimentaires, d’étiqueter ceux qui proviennent des « colonies israéliennes », soit « la Cisjordanie, Jérusalem-Est et le plateau du Golan ». Cette décision a été attaquée devant le Conseil d’Etat par un viticulteur possédant des vignes en Cisjordanie, mais l’affaire a été renvoyée devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). L’argument principal de la France et de la Commission Européenne revient à prétendre que la colonisation constitue une violation grave du droit international et doit, à ce titre, être portée à la connaissance du consommateur afin qu’il exerce un choix éclairé. La CJUE est toujours en train d’examiner l’affaire et son Avocat général, chargé de donner un avis, a conclu en faveur de cet étiquetage spécifique.
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Une portée plus large que celle des « colonies israéliennes »
Cependant, l’association « pour une consommation éthique » ne veut pas se contenter de limiter l’étiquetage aux seules colonies israéliennes. Si Israël « viole le droit international », c’est aussi le cas de nombreux autres pays, auxquels doivent être appliquées les mêmes règles en matière d’étiquetage. Par conséquent, elle demande au ministre de l’économie de prévoir un étiquetage spécifique pour trois types de lieux de provenance: tout d’abord, il s’agit des territoires non-autonomes ou non-décolonisés, reconnus en vertu de la résolution 1541 (XV) et de la liste des territoires sous tutelle établie par l’ONU. Est ainsi considérée comme illégale, l’emprise du Royaume-Uni sur les Îles Caïmans, ou encore celle des Etats-Unis sur les Îles Vierges américaines. Ensuite, il convient de mentionner les territoires « occupés, colonisés ou contestés », tels que Chypre du Nord ou la Crimée. Enfin, les produits venant de pays où ont été constatées de graves violations des droits de l’homme ou du droit international, feront également l’objet d’un étiquetage bien défini ; seront par exemple concernés la Birmanie, qui méconnaît la liberté de la presse, ou encore l’Australie, en raison des traitements qu’elle inflige aux populations aborigènes.
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A l’évocation de cette troisième catégorie, je me demande aussitôt si le constat de la violation des droits de l’homme ne va pas devenir un élément de conclusion arbitraire que lobbys et associations avanceront à tout va.
La boîte de Pandore
Etiqueter toutes les denrées alimentaires en fonction des critères ci-dessus, n’est-ce pas ouvrir une gigantesque boîte de Pandore dans laquelle les normes politiques ne cesseront de se multiplier jusqu’à former un véritable Empire, qui ne fera que remplacer celui de la consommation aveugle et frénétique ? Je m’interroge.
Certes, l’association « pour la consommation éthique » a la cohérence et l’honnêteté de vouloir appliquer cet étiquetage à tous les pays reconnus coupables de violation du droit international, et pas seulement à Israël comme c’était le cas, – Israël dont la politique est d’ailleurs indirectement, mais honteusement, comparée à celle de l’Apartheid par l’avocat de la CJUE. Mais cette entreprise n’est-elle pas fantasmée par le politique ?
Va-t-on véritablement consommer « mieux » ?
A en croire les études, la plupart des consommateurs privilégient des choix alimentaires locaux, non parce qu’ils pensent que la France respecte bien les droits de l’homme, mais parce qu’ils veulent optimiser leurs chances d’obtenir des produits sains, de bonne qualité, faisant ainsi travailler les petits agriculteurs et réduisant, au passage, l’empreinte carbone des produits alimentaires. Est-ce que, comme l’avance l’association, la mention politique du lieu de provenance sera un choix déterminant pour l’achat du produit ? Pour la majorité, c’est peu vraisemblable ; mais, selon la CJUE, là n’est pas la question. Tant qu’une minorité existe, aussi infime soit-elle, l’accès complet à l’information doit être garanti.
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Or, plus que d’être inutile, cet étiquetage court le risque d’agacer le consommateur, qui supporte de moins en moins que l’Etat s’immisce dans son assiette. En témoignent les contestations qui ont suivi l’apparition du « Nutriscore », qui est pourtant une simple donnée scientifique, sans aucun caractère politique…
Un boycott qui ne dit pas son nom
Enfin, l’avocat général de la CJUE affirme que « cette exigence de droit international (…) joue un rôle vital dans le maintien de la paix » : n’est-ce pas, au contraire, exacerber les tensions entre les populations et les Etats concernés que de toujours mettre en avant les manquements de ces derniers ? A l’heure où la défiance de la population à l’égard du politique ne cesse de croître, nous pouvons craindre qu’une telle décision aggrave considérablement le climat de méfiance.
Pire, cet étiquetage pourrait prendre le risque d’amener subtilement à la légalisation de nombreux boycotts, qui n’auront plus qu’à se réfugier derrière la loi pour s’estimer légitimes. Appelons un chat, un chat : celui qui refuse d’acheter un produit car il a été fabriqué en Judée-Samarie, ne fait pas autre chose que de suivre la ligne du Boycott Désinvestissement Israël (BDS), jusqu’à présent condamné par la France. Étiqueter les produits israéliens, c’est étiqueter les Israéliens eux-mêmes, et il en va évidemment de même avec les autres populations.
Nous pouvons donc redouter que les situations d’appels au boycott s’aggravent, à moins que la logique jusqu’au-boutiste de l’association décourage le législateur de se lancer dans un tel processus…
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