Le député Rassemblement National, Grégoire de Fournas, viticulteur, se voit infliger une sanction disciplinaire. Le billet écrit par Philippe Bilger avant l’annonce de la sanction dit déjà tout sur un monde où l’esprit partisan prime sur la volonté de justice.
Lorsque son collègue de couleur Carlos Martens Bilongo évoquait un bateau de migrants et dénonçait la détresse de ceux-ci, Grégoire de Fournas a cru bon de s’écrier, de manière intempestive et maladroite : «Qu’il retourne en Afrique !»
Pour qui est de bonne foi, il est évident que cette injonction au demeurant peu élégante ne concernait que le bateau, les migrants et en aucun cas le député La France insoumise. À son encontre cette saillie n’aurait eu aucun sens et je veux bien que les députés Rassemblement National soient présumés niais et structurellement racistes, mais à ce point cela aurait été du suicide au sein de l’Assemblée nationale.
Que l’honnête homme qu’est le député Carlos Martens Bilongo exploite cependant cet incident, la confusion et l’incompréhension qu’il a engendrées, je l’admets. Qu’il affirme que son collègue Rassemblement National le visait, lui, personnellement et qu’il ne supportait pas sa présence à l’Assemblée Nationale, est le comble d’une parole trop engagée. Alors qu’il sait, j’en suis persuadé, que le député Rassemblement National ne ciblait que le bateau des migrants. Il donnerait une belle leçon d’intégrité en le concédant.
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D’autant plus que Grégoire de Fournas lui a fait tenir un mot où il s’excusait de l’incompréhension dont il était responsable et de l’offense que son collègue avait pu éprouver.
Dans ce monde où il est constant que l’esprit partisan a éradiqué la volonté de justice, je suis prêt à tout concéder de la part de Carlos Martens Bilongo, en revanche j’accable ceux qui se sont rués dans la brèche sans attendre la moindre explication, la plus petite contradiction, avec une partialité trop pressée de stigmatiser cette maladresse, parce qu’elle émanait du Rassemblement National.
Le président de la République (il n’a rien de plus important à faire !), la Première ministre, l’opposition de gauche et d’extrême gauche, Renaissance, les médias jouissant de cette formidable opportunité de condamner avant l’heure, les députés qui dans l’après-midi du 4 novembre n’hésiteront pas (j’en fais le pari) à être sourds à l’argumentation de leur collègue forcément coupable – tous se sont rués dans la brèche.
Ces pitoyables péripéties démontrant que l’exigence de justice a fui non seulement les travées de l’Assemblée Nationale mais l’appareil présidentiel et gouvernemental (Gérald Darmanin s’en est mêlé pour le pire), vont accentuer cette certitude que la vraie vie n’est pas au Palais Bourbon et amplifier le sentiment de désaffection démocratique qui mine de plus en plus notre pays.
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Je suis indigné par cette sensation qu’à mon niveau si modeste, mon cri tombe dans un désert où l’honnêteté n’a plus le droit d’exister. Je sais qu’on va à nouveau m’opposer ma prétendue empathie pour le Rassemblement National, ce qui est une absurdité politique et intellectuelle démentie par tous mes choix.
D’une part je n’ai jamais réservé ce souci d’équilibre au Rassemblement National. Mais je l’ai aussi manifesté sur un autre plan à l’égard de La France insoumise tant je déteste encore plus être enfermé dans un préjugé qu’avoir des égards légitimes pour l’adversaire.
D’autre part il me semble que mon passé d’avocat général à la cour d’assises de Paris m’a toujours rendu attentif à l’obligation, contre mes sentiments profonds qui pouvaient parfois face au crime me pousser à l’extrémisme, de demeurer équitable et maîtrisé. Au moins cela a été ma finalité constante et j’espère n’avoir pas été trop indigne d’elle.
Ce serait un miracle qu’un peu de justice survînt vers 14 heures 30 le 4 novembre. Ce serait priver les affamés d’une stigmatisation à moudre et à dévorer.
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