La commission d’enquête sur les migrants pensait rendre un rapport parlementaire. C’était sans compter sur son président, le député Sébastien Nadot qui, dans un avant-propos très idéologique, l’a transformé en tract d’extrême gauche. Et en réquisitoire contre la France.
« Migrations, étrangers, réfugiés, sans-papiers, frontières, racisme, ostracisme, exclusion : la France a perdu sa carte d’identité nationale et son passeport est périmé. Le zinzin médiatique et le vertige électoral de quelques-uns ont fait perdre le Nord à tout le monde. À peine prononcé le mot migrant ou immigré que “Liberté – Égalité – Fraternité” se transforme, par fainéantise ou idéologie, en « peur – indifférence – humiliation et répression ».
Voilà comment débute l’avant-propos rédigé par le député centriste Libertés et Territoires Sébastien Nadot, président de la commission d’enquête parlementaire qui a rendu son rapport sur les migrations le 10 novembre 2021. Selon lui, « nous sommes à la dérive. Collectivement. » Notre pays organise de « véritables battues de service public, non pour chasser le sanglier, mais notre semblable ». Nous traitons les migrants « comme des objets ou comme des animaux ». Lorsque Marlène Schiappa assure que l’État ne persécute pas les migrants de Calais, elle « ment sans vergogne devant la Représentation nationale », ou bien elle « n’a manifestement pas la moindre idée de ce qui se passe vraiment à Calais ». Macron ment aussi, Darmanin encore davantage, etc.
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Avant-propos incendiaire
Bien entendu, c’est cet avant-propos incendiaire que la presse a repris massivement. Le problème est qu’il est très loin de refléter la tonalité des auditions, qui traçaient un tableau bien plus nuancé de l’action des services de l’État vis-à-vis des migrants. « Je suis tombée de ma chaise en le lisant, avoue la député (non inscrite) Emmanuelle Ménard, qui appartenait à la commission. Je l’ai découvert au dernier moment, car il n’était pas annexé au rapport tel que j’avais pu le consulter avant publication. Je comprends pourquoi ! » Elle a donc rédigé son propre document, avec des propositions détaillées, qui figure en annexe du rapport (pages 216 et suivantes).
Contactée, la rapporteur de la commission Sonia Krimi (LREM) ne commente pas, mais elle a pris ses distances sur Twitter dès le 18 novembre, estimant que l’avant-propos du président de la commission « n’engage que lui ».
Hélas, non. Personne dans le grand public ne va distinguer entre l’avant-propos du président et un rapport qui engage toute une commission d’enquête, investie de larges pouvoirs, habilitée à faire témoigner qui elle le souhaite, au besoin sous la contrainte ! Celle-ci n’a pas été nécessaire pour faire parler les hauts fonctionnaires. Ils l’ont fait avec précision, et parfois avec émotion. Le moins que l’on puisse dire est que le président les a trahis. Ils retrouveront leurs propos dans les 453 pages du document, mais qui les lira ?
Auditionné le 27 mai, Claude d’Harcourt, patron de la DGEF, livrait des chiffres édifiants : « Plus de 6 000 personnes, au sein de l’appareil d’État, sont mobilisées à plein temps dans la politique relative aux étrangers. » Celle-ci représente, « lorsqu’on prend en compte les moyens déployés par le système éducatif ou encore au titre de la solidarité et de la santé », un total de 10 milliards d’euros ! « La question des mineurs non accompagnés nous prend tous aux tripes », confiait le chef présumé des tortionnaires d’État, qui ajoutait : « il ne faut pourtant pas se voiler la face sur l’existence de filières extrêmement organisées, qui coordonnent l’arrivée sur notre territoire de la grande majorité de ces mineurs ». Le président Nadot l’avait chaleureusement remercié.
Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), est venu expliquer le 9 juin que le parc de logements d’accueil des migrants « avait doublé en cinq ans. […] Si nous appliquions ce doublement à l’ensemble du logement social, certains territoires de ce pays seraient moins en difficulté du point de vue de l’accès global au droit au logement. » Didier Leschi a admis sans détour que notre État prétendument « répressif » brille souvent par son laxisme : « Un certain nombre d’hôteliers facturent à l’administration des places de lit [pour migrants, ndlr] à un prix très avantageux, sans que nous ayons la possibilité de vérifier que les lits sont occupés. »
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Se démarquer à tout prix
Le 21 juin, Sonia Krimi appelait à tenir un langage de vérité à destination des pays de migration : « Si on veut que les gens comprennent ce que sont les difficultés des migrants, on doit parler de leur vie, des barbelés, du fait qu’ils sont violés et vendus en Libye, du marché qui s’est créé. » Le 1er juillet, bien avant que les images de la frontière polonaise fassent la « une », elle manifestait une remarquable clairvoyance : « Nous sommes face à une guerre hybride utilisant la chair humaine comme arme. Cette arme, utilisée par toutes les dictatures au monde, l’est également par l’une des dernières dictatures européennes : la Biélorussie. Ces dictateurs utiliseront cette arme contre nous tant qu’ils comprendront que nous ne sommes pas coordonnés et que nous ne partageons pas une vision européenne unifiée. » Réponse de Sébastien Nadot : « Il semble que la perspective européenne soit encore lointaine. Chaque État joue son propre jeu et se débrouille comme il peut dans une situation confuse. » À aucun moment, il n’a tenu de propos incendiaires envers les hauts fonctionnaires qui ont défilé devant la commission. Pourtant, ces derniers, tenus par le devoir de réserve, ne risquent pas de protester. Contacté, Sébastien Nadot n’a pas trouvé le temps de nous expliquer pourquoi, contrairement à tous les usages, il avait rédigé seul cet avant-propos.
Éric Zemmour ayant imposé le thème de l’immigration dans la campagne présidentielle qui démarre, les candidats à la primaire de droite avançant sur ce terrain, le député a sans doute voulu se démarquer à tout prix. En résumé, il a fait exactement ce qu’il prétend dénoncer : instrumentaliser démagogiquement les migrants.