Le président de l’Assemblée nationale François de Rugy a fait dérouler deux drapeaux arc-en-ciel de la cause LGBT sur l’édifice public, samedi 30 juin, à l’occasion de la marche des « fiertés ». En avait-il seulement le droit ?
La polémique a éclaté ce week-end entre Christine Boutin et François de Rugy, la première reprochant au second d’avoir apposé un drapeau de la cause LGBT sur la façade de l’Assemblée nationale à l’occasion de la marche dite « des fiertés ».
Une décision logiquement contestée
La présidente d’honneur du Parti chrétien-démocrate a estimé que cette mise en scène était contraire au principe de neutralité applicable aux édifices publics :
Rappel: Arrêt du Conseil d’État n°259806 du 27 juillet 2005: «le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques. » @FdeRugy pic.twitter.com/ZDpz8Mb4kk
— christine Boutinن (@christineboutin) 29 juin 2018
De son côté, le président de l’Assemblée nationale a fait valoir que sa décision était légale dans la mesure où l’Assemblée était régie par « ses propres règles » et que le bâtiment ne relevait pas du service public :
L’arrêt du Conseil d’Etat relayé notamment par Christine BOUTIN ne s’applique évidemment pas à mon initiative : ni affichage d’une opinion politique ou religieuse ni un bâtiment relevant d’un service public. L’Assemblee est une institution autonome régies pas ses propres règles.
— François de Rugy (@FdeRugy) 1 juillet 2018
En la matière, la position de la justice administrative est très claire puisque, par un arrêt de principe « Commune de Sainte-Anne » du 27 juillet 2005 (259806), le Conseil d’État a décidé que « le principe de neutralité des services publics s’oppos[ait] à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques ».
On note d’ailleurs que cette décision du Conseil d’État a été rendue à propos d’un drapeau indépendantiste martiniquais apposé sur une mairie.
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Cette décision jurisprudentielle a été réaffirmée par le ministre de l’Intérieur en 2010 dans le cadre d’une réponse ministérielle : « L’apposition de banderoles de revendication sur des édifices publics (…) est contraire à ce principe [de neutralité] (…) Il revient au responsable des bâtiments concernés de faire retirer ces banderoles, le cas échéant, sous le contrôle du juge administratif ».
La position du président de l’Assemblée nationale est dès lors critiquable sur cette base. Du moins ne peut-il pas être si affirmatif.
L’Assemblée nationale est bien un édifice public
Il ne fait, en effet, aucun doute que l’Assemblée nationale n’est aucunement régie par « ses propres règles » mais que les décisions du Conseil d’État ainsi que la législation et la réglementation s’appliquent à elle comme à toute institution républicaine.
Par ailleurs, François de Rugy ne saurait pouvoir soutenir que l’Assemblée nationale ne serait le siège d’aucun service public pour faire obstacle à l’application de la décision susvisée du Conseil d’Etat qui s’applique à tous les édifices publics. Dans la mesure où le Palais Bourbon est propriété définitive de l’Etat depuis 1827, il est acquis que l’Assemblée nationale est tenue, comme tout édifice public, au principe de neutralité.
Il est par conséquent interdit d’apposer sur sa façade des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques, conformément à la position constante du Conseil d’État en la matière.
La lutte LGBT, une cause apolitique ?
On touche dès lors au seul problème de droit sérieux soulevé en l’espèce : le drapeau de la cause LGBT peut-il être considéré comme un « signe symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques » ? Si oui, le principe de neutralité s’applique et fait obstacle à la possibilité de l’afficher sur la façade de tout édifice public.
Nous pouvons aisément écarter le drapeau de la cause LGBT comme signe de revendication d’opinions religieuses. Néanmoins, la portée philosophique et/ou politique d’un tel signe est plus incertaine. Il ne fait en effet aucun doute que cet étendard est fréquemment brandi comme signe d’appartenance identitaire par le mouvement LGBT, que ce soit lors de la marche « des fiertés » ou lors de manifestations politiques (on pense, par exemple aux manifestations en faveur du « mariage pour tous », très marquées politiquement). Il n’est pas rare par ailleurs de voir flotter des drapeaux de cette cause lors de meetings politiques, comme lors de la campagne présidentielle de François Hollande en 2012, ou plus récemment de Benoît Hamon.
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Des éléments pourraient donc être avancés devant la justice administrative pour faire valoir que le drapeau de la cause LGBT constitue un signe de revendication d’opinions politiques et/ou philosophiques.
En l’absence de décision du Conseil d’État sur ce point à ce jour (qui aurait pu être saisi à l’occasion d’un recours dirigé contre une décision du président de l’Assemblée nationale de ne pas retirer le drapeau contesté), il n’est pas possible d’affirmer avec certitude, comme François de Rugy, que l’apposition de ce drapeau sur la façade de l’Assemblée nationale serait parfaitement légale. Bien au contraire, des éléments plaident pour l’inverse.
Une décision de la Haute juridiction administrative serait bienvenue pour clore ce sujet polémique.
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