L’accélération de la contestation en Syrie depuis le 22 avril démontre que la stratégie de Bachar el-Assad a échoué. S’il peut s’accrocher encore au pouvoir, c’est uniquement grâce à la force brute. Suite à ses discours creux et à son cynisme ahurissant, les mots n’ont plus de sens aujourd’hui à Damas. Le régime touche le fond, réduit au degré zéro de la politique. Assad braque un revolver sur la tempe de chaque citoyen pour rester au pouvoir. Aucun régime ne peut tenir longtemps dans ces conditions car, pour paraphraser le célèbre mot d’Abraham Lincoln : on peut faire peur à tout le monde pendant un certain temps ; on peut également faire peur à un certain nombre de gens tout le temps ; mais on ne peut pas faire peur à tout le monde tout le temps. Pourtant, c’est à cet exercice suicidaire que Bachar el-Assad se livre depuis cette fin de semaine.
Aucun pouvoir, aussi démocratique et libéral soit-il, ne peut faire l’économie de la peur du gendarme. Mais la matraque n’est qu’un dernier ressort et une réminiscence symbolique rappelant le lien entre pouvoir et force. Le consentement de millions d’individus repose essentiellement sur le sentiment que celui qui détient le pouvoir a le droit de gouverner et mérite une coopération. Pour que le système fonctionne le pouvoir doit s’appuyer sur une certaine légitimité – divine, démocratique ou charismatique. Plus le pouvoir est légitime, plus il s’éloigne de la force, car les citoyens acceptent les règles du jeu et croient qu’ils peuvent agir autrement que par la violence pour se faire entendre. En revanche, quand il n’y plus de légitimité, le pouvoir retrouve son origine primitive et redevient force. C’est le cas aujourd’hui de la Syrie : sans baïonnettes, Assad serait lynché, ses proches pendus, ses biens pillés et sa résidence brûlée. Il suffit de regarder la façon dont les Egyptiens traitent Hosni Moubarak et ses fils – qui ne sont pourtant pas allés aussi loin qu’Assad – pour imaginer le sort que les Syriens réservent à leur président.
Un régime sans légitimité comme celui de Bachar el-Assad doit appliquer une savante économie de la force, seul moyen de survivre. Selon tous les indices, Assad a choisi la terreur, la meilleure façon de démultiplier la force : tuer des centaines pour en effrayer des millions. Pour que ça marche, la violence doit frapper aveuglément, distillant un sentiment d’effroi, paralysant et réduisant la société en un troupeau politiquement docile. Il faut terroriser et isoler, faire en sorte que chaque individu ait aussi peur de la police que de son voisin. Or, semble-t-il, les Syriens n’ont plus peur les uns des autres, ce qui est très fâcheux pour un régime policier. Pour restaurer la dissuasion, le régime n’a d’autre choix que la violence directe.
Voilà pourquoi des snipers embusqués sur les toits tirent sur les passants ou dans les cortèges d’obsèques. Ces tireurs d’élite ne visent personne en particulier mais le peuple syrien tout entier. Il faut empêcher à tout prix les rassemblements qui libèrent les individus de leurs craintes, l’occupation permanente des places publiques avant que ces sit-in ne deviennent des « places Tahrir ».
C’est ainsi qu’il y a quelques jours à Djebla, ville côtière au nord de Lattaquié, à l’issue des discussions – plutôt positives – entre les dignitaires locaux et le gouverneur, la répression s’abattait. Pour être efficace, la violence terrorisante doit surprendre par sa démesure et son caractère aveugle et arbitraire.
Assad père, ancien pilote de chasse et chef de l’armée de l’air syrienne, léguait à son fils le manche à balai. Ce dernier semble avoir le même niveau de compétences qu’un autre pilote célèbre, Mohammed Atta, leader des terroristes du 11 septembre : il n’a pas appris ni à faire décoller ni à poser un avion. Le résultat est que le régime « décroche » et, malgré les gestes de plus en plus violents, les gouvernails ne répondent plus. La Syrie, en plein piqué, va-t-elle s’écraser ? Y-a-t-il un (autre) pilote dans l’avion ?
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