Dommage qu’on n’organise pas un championnat d’opinion politique. Catégorie « Islam », cette rentrée, on aurait eu sur le ring, en finale, Alain Finkielkraut à ma droite, Claude Askolovitch, islamophile, en face. Le public braille toute gueule ouverte : « Tape, Alain, tape, explose-le ! » Juste un petit carré scande timidement, sur l’air des lampions : « Vas-y Asko, vas-y Asko, vas-y ! » Moi, philosophe, rêveur, j’observe, je pense. Chacun son métier : moi, c’est penseur, je suis payé pour ça.
J’observe les points communs des finalistes : tous les deux s’affublent d’un nom à coucher dehors et font profession de s’adresser aux masses laborieuses. C’est pas que j’aie quelque chose contre les étrangers, juste par commodité, ils auraient pu faire un petit effort. Par exemple, Alain serait « Finkie », Claude, « Asko ». Notez, pour aggraver leur cas, tout le monde les appelle Finkie et Asko. Concis, sympa, français. Le père d’Asko, qui avait oublié d’être idiot, signait Roger Ascot. Il avait même sucré le K slave pour se latiniser. Que fait le fils ? Il se repasse une couche de Scythe imprononçable. Ensuite, ils viennent nous chanter les mérites de l’assimilation. Moi je dis : assimilation bien ordonnée commence là où je pense. Je dis ça parce que je suis penseur. Si ça se trouve, j’aurais bien pu penser le contraire. Nous autres penseurs, on est comme ça.
Il nous le bisse cent fois : Asko se proclame islamophile. C’est mentionné sur sa carte de visite. Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? Je suis islamophile. Nouveau, moderne.[access capability= »lire_inedits »] Comme je suis un peu musulman du côté de ma défunte civilisation, ça me fait bien plaisir. J’aime les gens qui m’aiment. Hamid, qui est encore plus musulman que moi, quand je l’ai instruit de l’apparition d’un prophète de l’islamophilie, il a fait la grimace. Quand on me dit qu’on m’aime, je me méfie, ça cache quelque chose. J’ai eu beau le rassurer, le livre d’Asko est un petit chef-d’œuvre de style, d’enquête, de bonnes intentions, rien n’y a fait. Ils sont méfiants les musulmans, la méfiance dans le sang. Il m’a rappelé, Hamid, les années mortes, les temps de la décolonisation où des Français aidaient et aimaient les Arabes. On les appelait les « zamis des zarabes ».
Autant vous le dire tout de suite, je ne suis pas finkiste pour un sou, je penche côté Asko. C’est mon droit, on est en République. Mais attention, pas un askiste aveugle. Je garde mon libre arbitre. Le halal, par exemple. Il y a longtemps qu’on n’en avait pas parlé. Asko se fonde sur le jugement de Malek Chebel, expert de l’expertise en ces matières, qui le « met au défi » de distinguer au goût un steak à chéchia d’un steak de La Villette. À mon avis, Chebel, il n’a jamais mangé chez sa maman, ou alors il est végétarien. Personne n’a encore osé lui dire qu’un chateaubriand cacher ou halal, c’est tout rigoureusement immangeable. Autant mâcher de la semelle compressée. J’ai découvert les délices de la viande des gens vers mes 15 ans. Je ne savais même pas que ça existait. Mais c’est le jour et la nuit ! Je me serais converti rien que pour le steak si la religion n’avait pas disparu entre-temps. Disparu ? Disparu… Faut voir.
Pour Finkie, avec le halal, tout fout le camp, Vercingétorix plus Mallet et Isaac, plus Lagarde et Michard. Liquidation générale, on baisse le rideau, adieu la France ! Pour le goût, je suis d’accord avec Finkie, mais pour les dégâts, je ferais des réserves. Si des zozos veulent croquer des croquettes incomestibles, c’est leur affaire. Si mon petit-fils, à la cantine, en croque une au passage, il n’en mourra pas. En tout cas, la cantine, c’est beurk. On se calme. On change, on ne s’éteint pas. On change en bien ? En mal ? Le passé a toujours été d’or, le futur de merde. Moi je préfère le béret et la baguette, c’est pareil pour le 14-Juillet, le bougnat et les cathédrales que j’ai choisi d’immigrer chez vous (Chez nous ?). Mais si le temps bouleverse le paysage, je ne vais pas encore émigrer. Qu’on me la repeigne de n’importe quelle couleur, la France sera toujours « le plus beau pays du monde ». Et je connais le monde, croyez-moi.
Asko n’est pas devenu islamophile sur un soudain mouvement de cœur. En reporter consciencieux, il est allé à la rencontre des musulmans. Il est devenu copain de Fateh, d’Adham, de Nabil, d’un groupe d’étudiants Sciences Po. Tous islamistes. Tous allumés de chez la lumière. Il les a trouvés parfois excessifs mais dans l’ensemble sérieux, cultivés, pas aussi terroristes qu’on le dit, fervents du « métissage des sources ». Des gens bien. Injustement dénoncés par « l’idéologie dominante ».
Eh Asko ! Tu te réveilles ? Alors, tu n’as déniché qu’un seul non-islamiste : le (très courageux) Chalghoumi, imam de Drancy, que tu traites d’arriviste, pas aimé chez les musulmans et « qui parle dans le vide » ! L’islam de France, pour toi, c’est l’islamisme. Tu m’inquiètes, fils.
Toi et Finkie, vous auriez vraiment intérêt à sortir un peu. Laissez-moi vous raconter. Il était une fois Mahomet… Bon, passons à autre chose, c’est trop long.
Vous relevez l’un et l’autre qu’en France seulement, le voile est interdit. En Allemagne, en Amérique, à Tokyo, ils s’en tamponnent le coquillard. Une question surgit alors, détecte Finkielkraut : nos principes ne vaudraient-ils que pour nous ? On attend la réponse. On lit minutieusement jusqu’au bout. Macache, oualou, peau de zébi ! Toutes les explications qu’il avance, telles la galanterie ou la nation, on les retrouve partout en Europe. De propre à l’Hexagone, rien. Pourquoi la France et pas les autres ? On l’apprendra peut-être dans le prochain livre de Fink, pas dans L’Identité malheureuse. Tiens, je vais vous en proposer une, de réponse.
Les Allemands, on les appelle les Chleuhs. Vous savez pourquoi, mais peut-être qu’Élisabeth l’ignore. Quand vous avez envahi le Maroc en 1912, l’ennemi, dans la montagne, c’était les Berbères Chelhi. Les soldats prononçaient les « Chleuhs ». Deux ans après se déclenchait la Grande Guerre contre les Allemands, qui ont hérité du mot. L’Arabe, depuis disons deux siècles, c’est, avec l’Allemand, l’ennemi par excellence. La Guerre d’Algérie ? Les derniers protagonistes respirent encore. Dans les têtes, à ce jour, on n’a pas tourné la page. Ni d’un côté, ni de l’autre. Américains, Écossais, n’ont pas de guerre d’Algérie à se coltiner. Les fliquesses antiterroristes, chez eux, sont voilées, sans souci. On le ferait ici, tu imagines le bouquin de Finkie ?
Le seul chiffre officiel a été donné par Bernard Squarcini, le 10 septembre 2010, dans le Journal du Dimanche : 6 millions de musulmans en France. Au Royaume-Uni : 2,8 millions. En Allemagne : 3,7% de la population. États-Unis : 0,6%. France : 10%. Et tout le monde prophétise que ce n’est qu’un début. Plus la guerre d’Algérie. Dur à avaler.
Depuis treize siècles, l’antagonisme islam/chrétienté n’a pas eu un jour de répit. Jusqu’au début du XXe siècle, on ne disait pas « Occident » mais « Chrétienté ». Dès qu’ils sont sortis de la péninsule Arabique en 632, pour se lancer à la conquête des terres émergées, les Arabes se sont heurtés aux Grecs byzantins. En Égypte, au Maghreb, en Espagne, en Hongrie jusqu’aux portes de Vienne, toujours et toujours jusqu’au 11-Septembre, islam contre chrétiens. Les deux mondes ont toujours été séparés par un rideau de mépris et d’armées. Voilà qu’aujourd’hui ils se côtoient, parfois se fondent en France, premier pays musulman en Occident.
Une exception française, l’intolérance au voile ? En monde chrétien, oui. Mais pas en monde musulman. En Tunisie de Bourguiba, en Turquie d’Atatürk, en Iran du Shah, on a interdit le voile exactement comme ici. En Égypte, au Maroc, en Algérie une énorme fraction de l’opinion pense comme Finkie, une autre comme Asko. Alors quoi, serait-on un pays musulman ? Un peu. 10% pour le moment. Dix membres de la Ligue Arabe comptent moins de musulmans que la France. Nous aurions droit, comme le Brésil, à siéger en observateur à la Ligue arabe ou à l’OCI.
Un mot encore sur ces deux excellents bouquins qu’il faut lire toute affaire cessante. Une bonne fois pour toute, il faudrait qu’on comprenne en France qu’islamisme et islam, c’est l’eau et le feu. Sans entrer dans les détails, une analogie. Elle vaut ce que valent toutes les analogies. L’an de grâce 1517 en Europe, Luther, l’aube du protestantisme. Un moine augustinien entend réformer la religion, la débarrasser de ses scories traditionnelles, la revivifier, la refonder sur ses bases primitives. S’ensuivent deux siècles de guerre sans merci.
L’islamisme, le salafisme, le djihadisme, appelez-les comme vous voudrez, c’est exactement la même démarche que Luther. L’ennemi numéro un, l’adversaire irréconciliable des islamistes, c’est l’islam de toujours, soit presque tous les musulmans. Ils se battent par le prêche ou par le feu. Le halal, le voile, l’hôpital, la piscine, les prières dans les rues, le vin, la provoc sans fin, c’est eux. Eux sont activistes, les conservateurs, un peu paumés, n’ont pas envie de s’en mêler. On ne voit donc que le « barbu ». Et on mélange la sauce : musulmans, islamistes, Arabes, même tabac. Alors qu’on a désormais affaire à deux religions opposées.[/access]
Alain Finkielkraut, L’identité malheureuse, Stock, 2013.
Claude Askolovitch, Nos Mal-Aimés, ces musulmans dont la France ne veut pas, Grasset 2013.
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