Le poème du dimanche
Aksinia Mihaylova traduit elle-même, en partie, ses poèmes du bulgare. Elle est née en 1963 et j’ai l’impression depuis une semaine d’avoir retrouvé une cousine, à peine plus âgée, qui me fait comprendre plein de choses sur le temps, l’amour et « comment être utile au paysage » comme elle l’écrit dans l’un de ses poèmes. À la lecture de son recueil Ciel à perdre, on se dit qu’elle a passé haut la main son examen de bilinguisme, comme Kundera qui sut passer du tchèque au français et Nabokov du russe à l’anglais.
Francophone et francophile, elle ne fait son premier voyage en France qu’en 2010 mais vit la plupart du temps à Sofia où elle enseigne le français et la philologie. Elle attend la trentaine pour publier son premier recueil, ce qui n’est pas étonnant puisqu’elle s’est fixée une règle d’or : « Pas plus de dix poèmes par an ». Cela ne l’empêche pas, et peut-être même ceci explique cela, d’être traduite dans une vingtaine de langues.
Elle est incontestablement une lyrique pudique et précise qui sait chanter ses amours et le temps qui passe avec les mots de tous les jours.
Un foulard long de dix-sept ans
Nous hivernons depuis longtemps
dans des sud séparés
et nos rêves sont différents
mais nous les oublions le matin
c’est pourquoi nous volons encore ensemble.
Il est impossible de te raconter:
le jour de mars dans cette ville
est un foulard rouge;
je lie le bout du matin
à l’embouchure de la rivière
et le vent le gonfle,
le promène dans les rues du quartier
et des pots de géraniums
poussent sur les balcons.
Je porte de la glaise et des brins de paille
dans mon bec
pour faire un nouveau nid.
Et je vole haut au-dessus des pavés,
et je vole bas au-dessus des toits
et je ne trouve pas l’endroit.
(Ciel à perdre, Poésie/Gallimard)