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Education nationale: relancer l’ascenseur social

Une tribune de Jean-François Champollion, Pierre-Henri Picard et William Thay


Education nationale: relancer l’ascenseur social
Jean-Michel Blanquer à l'Assemblée nationale, le 14 janvier 2020 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA Numéro de reportage: 00940194_000089

Pour que l’École républicaine redevienne un ascenseur social et puisse redonner un espoir d’élévation aux classes populaires, il faut revaloriser le métier d’enseignant globalement. La petite augmentation de salaires proposée par Jean-Michel Blanquer est insuffisante, les professeurs doivent retrouver leur magistère moral dans la société française. Une tribune de Jean-François Champollion, Pierre-Henri Picard et William Thay (Think tank le Millénaire)


L’annonce récente de Jean-Michel Blanquer sur l’augmentation des salaires des enseignants était nécessaire, même si elle est faite pour de mauvaises raisons. Plutôt que de s’inscrire dans un plan global visant à transformer l’école et mettre l’enseignant au cœur du système, elle vise plutôt à calmer la profession avec une réforme des retraites qui n’en finit plus de mécontenter. Pourtant, alors que près de 70% des Français pensent que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, il est urgent de réformer l’École pour combattre les fractures et relancer l’ascenseur social.

La France accueille le système scolaire le plus inégalitaire 

La dernière enquête PISA révèle que les paramètres sociaux sont prégnants dans la réussite des élèves. En effet, les élèves français issus de milieux socio-économiques défavorisés ont, en moyenne, obtenu des scores inférieurs de 107 points à ceux issus de milieux aisés (contre 89 points d’écart pour la moyenne de l’OCDE). Les lacunes sont particulièrement tangibles concernant la maîtrise de la langue française : 20% des élèves favorisés, mais seulement 2% des élèves défavorisés, sont parmi les élèves très performants en compréhension de l’écrit.

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La faible mixité sociale est également mise en valeur : en France, un élève défavorisé n’a qu’une chance sur six de fréquenter le même lycée qu’un élève très performant, alors qu’une affection aléatoire aurait réduit cette proportion d’une sur quatre. Ces inégalités de traitement entraînent un certain fatalisme chez nos jeunes comme chez leurs parents, autant conditionné par leur contexte familial que par l’absence de perspective que leur offre l’École. Le modèle de l’instruction publique, théorisé par Condorcet, est remis en question dans sa raison d’être, avec son incapacité à faire émerger de nouveaux talents.

Une École discriminante mais pas pour les raisons qu’avançait Bourdieu

Pourtant, si la thèse de Bourdieu pouvait se défendre dans les années 1970, elle s’effondre aujourd’hui face à la massification de l’obtention du baccalauréat. La réelle discrimination est l’incapacité de l’École à doter les étudiants défavorisés des mêmes outils que les plus dotés pour lutter à armes égales dans l’enseignement supérieur où 60% des étudiants échouent en première année de licence. Ainsi, la probabilité qu’un enfant de cadres ait recours aux cours particuliers était 55% plus élevée en 2011 que celle d’un enfant d’employé.

De fait, la situation en France était déjà complexe, comme le souligne les études de Raymond Boudon sur la mobilité sociale en France dans les années 1960-1970. Le nombre d’étudiants augmentait plus vite que le nombre d’emplois disponibles correspondant à leurs diplômes. Or, comme la société se transforme moins vite que le système de qualifications, il y a de plus en plus d’enfants avec un niveau d’instruction supérieur à celui de la génération précédente mais qui ne peuvent pas pour autant obtenir un meilleur statut social, entrainant un déclassement des diplômés (et des diplômes).

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Le risque aujourd’hui est de voir finalement un double écueil se produire : d’un côté un nombre toujours croissant de personnes formées mais de moindre qualité, face à un environnement et un monde du travail devenus de plus en plus exigeants et compétitifs. Nous avançons ainsi vers la chronique d’un échec annoncé sans réforme structurelle de l’École.

Se concentrer sur les fondamentaux

Il faut redonner un sens à l’éducation, en commençant par le primaire dès le plus jeune âge, afin de réduire les fractures (sociale, territoriale, culturelle) qui divisent la France, avec trois priorités : le renforcement des fondamentaux, la revalorisation du statut de l’enseignant, et enfin la promotion du mérite.

Une enquête Pirls, réalisée en 2016 a montré les très fortes inégalités dans l’acquisition des savoirs fondamentaux au primaire. Entre 1976 et 2004, on estime que les élèves ont perdu dans leur parcours scolaire plus de 700 heures de cours de Français, alors qu’il faudrait plutôt recentrer l’enseignement au primaire autour des savoirs fondamentaux (lecture, écriture, calculs), en rognant sur les nouvelles activités périscolaires et sur les activités d’éveil qui ont considérablement augmenté depuis les années 1980 sous l’influence de la pédagogie Freinet.

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L’échec de cette pédagogie doit conduire à faire revenir l’enseignant au cœur du système éducatif, en revalorisant son statut, aussi bien sur le plan matériel qu’immatériel. Du point de vue immatériel d’abord, l’enseignant doit retrouver son magistère intellectuel et moral. Il doit avoir une plus grande liberté de choix pédagogique et être en mesure d’exercer pleinement son autorité sur sa classe. Pour cela, il faut envisager des pistes comme le rétablissement de l’estrade et la suppression des allocations familiales pour les familles des élèves récalcitrants.

Arrêter de privilégier les banlieues

Sur le plan matériel ensuite, il est impératif de mieux utiliser l’argent public afin de revaloriser le salaire des enseignants. Le modèle allemand doit être dans ce cas une source d’inspiration. En effet, un enseignant outre-Rhin gagne presque deux fois plus qu’un enseignant français après 15 ans de carrière (65000€ contre 35000€ en moyenne). Ceci s’explique par l’absence de gaspillage dans les dépenses administratives : la moitié des dépenses d’éducation en Allemagne est consacrée à la masse salariale alors que les salaires n’occupent que 30% du budget éducatif français, bien loin derrière les frais de structures et d’administration (70%).

Enfin, il faut promouvoir le mérite en relançant la politique des internats d’excellence qui avait été mise en œuvre en 2008 par Nicolas Sarkozy, puis supprimée par Vincent Peillon. Permettant aux jeunes élèves de changer de cadre de vie et de suivre un enseignement d’excellence pour s’élever, ces internats avaient servi à de nombreux collégiens et lycéens méritants pour faire de brillantes études dans l’enseignement supérieur. Il faudra par contre étendre le recrutement des internats : initialement destinés aux jeunes des banlieues, ils doivent également concerner les enfants de la France périphérique. En effet, la carte française de l’échec scolaire recoupe – presque parfaitement – celle décrite par le géographe Christophe Guilluy en comprenant une majorité de zones périurbaines. Il s’agit ainsi de prendre en compte de façon prioritaire le critère social plutôt que de lancer un énième plan pour les banlieues afin de véritablement permettre l’égalité des chances.

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Politologue et fondateur du Milllénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques

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