Danseuse, actrice, chanteuse et égérie des nuits parisiennes, Marie France est un mythe vivant. Son nouveau disque Tendre assassine reflète son parcours peu commun, des rues d’Oran aux plateaux de Téchiné. Portrait.
« Dans le rock français, il y a Johnny Hallyday et Marie France. » Le parolier Jacques Duvall ne plaisante qu’à moitié. Chanteuse, danseuse, strip-teaseuse à ses heures, la légende des nuits parisiennes Marie France revient sur le devant de la scène avec un nouvel album, Tendre assassine. Confectionnées par Léonard Lasry et Élisa Point, ces 11 chansons à l’atmosphère feutrée reflètent le parcours peu commun de leur interprète.
Oiseau de nuit
Marie-France Garcia naît en 1946 dans une famille pied-noir d’Oran. Dans l’Algérie française « très machiste, un peu espagnole », la jeune fille éclot à l’ombre des falbalas maternelles, dessine des femmes nues et séduit des parachutistes en quête d’amours fugitives. Lors d’une brève escapade parisienne, l’adolescente découvre ses premières sœurs d’armes, jeunes demoiselles dont les voix mâles contredisent le sexe inscrit à l’état civil. Surviennent ensuite les accords d’Évian et le rapatriement. « En Algérie, j’enjambais des morts dans la rue. Et puis arrivée à Paris, c’était l’insouciance », de ses quinze ans. Dans son autobiographie Elle était une fois (2003), Marie France raconte sa métamorphose d’adolescente timide en reine de la nuit dansant jusqu’à l’aube chez Régine, Castel ou « dans des boîtes beaucoup plus glauques ». D’abord coiffeuse, elle vit d’expédients, se prend de passion pour la danse et le chant qu’elle pratique bientôt au cabaret L’Alcazar. Le maître des lieux, Jean-Marie Rivière, futur roi du Paradis latin, lui met le pied à l’étrier. Son numéro de cabaret triomphe. Au gré de ses brouilles et rabibochages successifs avec son « père spirituel », qu’Antoine Blondin surnommait méchamment « l’entrepreneur en travelos publics ». Dans les bas-fonds de l’underground, Marie France sombre dans l’héroïne et manque plus d’une fois y rester. Ses amours, souvent de jeunes voyous, n’arrangent rien. Elle leur dédie Fabien, Hugo et les autres.
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Oiseau de nuit, Marie France éblouit les Gainsbourg (qui trompe Bardot dans ses bras), Onassis (qu’elle éconduit !), Coluche et autres Mick Jagger. Quinze ans avant les débuts du Palace, la dancing queen connaît les charmes des soirées bigarrées au cours desquelles un garçon coiffeur pouvait deviser avec Dalí ou Lagerfeld. « J’ai connu le Bus Palladium dans les années 60 où il y avait à la fois les femmes à robes longues, les Rolls devant et les beatniks. » Son premier 45 tours, Déréglée (1977), donne le ton : « Ta petite chérie ne veut pas ce soir parce qu’elle est réglée / Alors tu viens me voir / Tu sais que je ne suis qu’une déréglée / Je suis gentille, je suce des réglisses / Je suis méchante je prends des raclées […] / Tous les hommes le savent / Ils connaissent le chemin et ils ont la clé […] / Tu sais que j’suis ton amie tant que t’oublies pas de me régler. » Signée Jacques Duvall, célèbre parolier de Lio, cette comptine punk est un peu la bande originale de ces années de libération sexuelle. Duvall lui offre régulièrement des paroles faussement cyniques, comme le texte d’Un garçon qui pleure : « Un garçon qui chiale / Ça me remonte le moral / J’aime les ondées lacrymales / D’un mâle à qui j’fais du mal. »
Une artiste dégagée
Pas politique pour deux sous, Marie France fraie avec le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) et les Gazolines, dont le cri de guerre est « Biiiiiiiiiiiiiite ! ». Dans cette petite bande de journalistes de Libération, « Guy Hocquenghem était un intello très cool. Il y avait des soirées où il s’habillait en femme avec des robes des années 30 avec nous. » Encore un mort emporté par le sida. Dans son nouvel album, Marie France célèbre par le titre Divinement tous les drames qu’elle a traversés sans jamais s’apitoyer sur son sort. Au fil de sa carrière improvisée, la joie a fréquemment suivi la peine. Et inversement. Ainsi de sa participation remarquée au film de Téchiné, Barocco, dont elle interprète la chanson-titre auprès de Philippe Sarde sans que les organisateurs des Césars ne daignent la laisser monter sur scène. Pudique, Marie France chante aujourd’hui La Dernière Course d’un regret, décidée à « ne pas succomber aux larmes d’une peine qui a du charme / sourire encore quand tout va mal, plaisanter quoi de plus normal […] / prendre la vie comme elle vient, à l’heure si bleue du destin ». Cette capricieuse impénitente a frôlé un destin à la Marylin Monroe. Son numéro de sosie a d’ailleurs fait les joies des nuits branchées comme des fêtes de village, où Marie France a parfois officié contre menue monnaie.
L’ingratitude du public peut laisser rageur. Comment expliquer le simple succès d’estime qu’ont rencontré les chansons de Marie France, dont Lio fera des tubes en les réinterprétant ? Il en va ainsi de Je ne me quitterai jamais devenu Je casse tout ce que je touche dans le répertoire de la chanteuse belge. Son producteur de 37 ans, Léonard Lasry a sa petite idée sur la question : « Les programmateurs lui ont parfois un peu barré la route. Une chanson comme Je ne me quitterai jamais, qui parle de l’amour de soi, c’est quand même original. Jacques Duvall l’a écrite pour Marie. C’est moins grand public que la version beaucoup plus bateau qu’a chantée Lio. Les rengaines de Marie France avaient cette subtilité, c’est pour ça que les connaisseurs les trouvent cultes. » Il faut dire aussi qu’à force de trop jouer les divas, quitte à s’encolérer pour un rien, l’artiste s’est créé des barrières.
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Longtemps, Marie a franchi les frontières avec pour seul bagage sa carte de membre de l’Amaho (Aide aux malades hormonaux). Une association créée par un résistant que les nazis avaient bourré d’hormones femelles durant sa déportation. Un jour de 1985, une opération chirurgicale fit de Marie une femme au sens anatomique du terme. On ne lui connaît pas l’ombre d’un regret. Peut-être une pointe de nostalgie. « J’ai habité pratiquement tous les hôtels de Saint-Germain. Maintenant, c’est devenu des hôtels 3 ou 4 étoiles. À L’Idéal hôtel, rue de Verneuil, juste en face de chez Gainsbourg, il n’y avait que des allumés, c’était joyeux comme tout. Maintenant, c’est si guindé… »
Avec sa femelle chihuahua, la belle septuagénaire arpente désormais Sète avec le même bonheur que Paris autrefois. Son exil méridional a inspiré les couplets de Trop de vague à l’âme. L’ex-Montmartroise confie n’avoir « plus envie de Paris, qui a beaucoup changé ». Le fief de Brassens la trempe dans l’encre bleue.
Marie France, Tendre assassine. En vente dès le 18 octobre.