Qualifier uniquement de photographe Ai Weiwei serait bien trop réducteur pour ce touche-à-tout que des médias en quête de figure dérangeante présentent comme le Cocteau asiatique du mondialisme artistique. On se permettra de préciser : le talent en moins. Etant aussi bien l’architecte opportuniste capable de servir le régime oppressif qu’il dénonce que le rebelle en chef du web contestataire et militant, l’homme à la barbe de prophète est tout et n’importe quoi en même temps. Peintre, sculpteur, designer, plasticien, blogueur, trublion, activiste, les points de suspension s’imposent tant l’homme n’a de cesse d’accumuler les activités les plus diverses.
Cette agitation boulimique arrache des cris d’éloge convenus au snobisme ambiant : l’artiste est génialement « hors champs, inclassable ». Du flot intempestif de tweets qu’il déverse quotidiennement sur son compte comme s’il était l’avatar numérique de Jackson Pollock à la navrante série des « Doigts d’honneur » appelé avec ironie « étude de perspective », toute cette production, estampillée Ai Weiwei, expert en dissidence, est art parce qu’elle est provocation. Les commentaires de l’exposition expliquent doctement que « ces doigts d’honneur invitent le spectateur à remettre en question le respect qu’il témoigne envers toutes ces formes de pouvoir établi… ». Ils valent en inanité ceux d’Ai Weiwei lui-même, alias Mister Fuck, qui assure avec aplomb sur Twitter qu’il « porte un regard humain sur le monde ». On en est presque à s’étrangler tant l’absurdité est grande et la confusion à son comble. Du portrait de Mao à la Basilique Saint-Marc en passant par la Tour Eiffel, la Maison Blanche, la place Tienanmen, Ai Weiwei répète « Fuck ! » avec la même et triste nonchalance … Tout y passe : même un innocent arc-en-ciel y a droit. Mais là c’est le doigt de trop ! Levé devant l’apparition enchanteresse de ce phénomène naturel, il ne fait que révéler toute l’étendue de l’imbécillité anarchiste de ce soi-disant artiste.
Heureusement, le musée a également eu l’excellente idée de consacrer une exposition à l’œuvre de la photographe américaine Bérénice Abbott. Cette admiratrice d’Eugène Atget qui fut l’élève de Man Ray a su capter la beauté architecturale du New York des années 30. Certes, la rétrospective de son œuvre est assez inégale. Ses photos documentaires, prises le long des routes américaines sont finalement réduites à des paysages plats et vides et à un ou deux portraits d’agriculteurs édentés. Ses photographies scientifiques qui terminent l’exposition ne sont pas d’un grand intérêt artistique mais ce qui retient l’attention au premier chef, c’est bien son travail sur New York. Les perspectives audacieuses de Bérénice Abbott invitent à s’immerger en noir et blanc dans cette « ville debout » comme l’écrivait Céline dans le Voyage au bout de la nuit auquel on ne peut que penser ici. L’œil captivé parcourt alors les lignes verticales des gratte-ciel jusqu’à se perdre dans les échappées de lumière dynamique et les jeux d’ombres inquiétantes, avant de redescendre vers le sol où la petitesse des hommes pressés contraste avec la grandeur majestueuse des monuments.
Deux époques, deux pays, mais au bout du compte une seule artiste et un seul imposteur.
Jusqu’au 29 avril au Musée du Jeu de Paume, Paris
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