Avec L’Art, c’est bien fini, Yves Michaud poursuit et approfondit la réflexion entamée dans L’Art à l’état gazeux. Sa conclusion n’a pas changé : la création est sur une mauvaise pente. Le philosophe et ancien directeur de l’École des beaux-arts de Paris sait de quoi il parle.
Étrange évaporation
Yves Michaud part d’une observation aisément vérifiable : la plupart des artistes contemporains ne créent plus d’œuvres à proprement parler (peintures, sculptures, etc.). Ils se consacrent à des productions plus ou moins évanescentes telles qu’installations, interventions, environnements, dispositifs multimédias, etc. On y croise des couleurs, des sons, des odeurs. Parfois même, il est fait appel au toucher. Ces expériences multisensorielles s’offrent au spectateur dans une immédiateté enveloppante. « L’expérience esthétique a changé, nous dit l’auteur, de frontale elle est devenue atmosphérique […]. » Ce qui s’est évaporé, c’est en particulier l’ambition multiséculaire d’exprimer quelque chose de la vie des hommes. L’art parle désormais de l’art, et puis c’est tout. Il est ludique, hédonique, bénin. Les critères esthétiques « ont été remplacés par les prix des œuvres et la cote des artistes ». En fin de compte, cet art n’intéresse plus grand monde. Il survit en vase clos dans ces lieux plus ou moins institutionnels qu’Yves Michaud appelle des « ZEP » (zone esthétique protégée).
L’époque n’a plus l’esprit à l’Art
Qu’à cela ne tienne ! pourrait-on dire, sortons de l’ergastule, hissons les voiles ! Hélas, explique Yves Michaud, l’époque a changé elle aussi. Elle n’est plus réceptive à l’Art avec un grand « A ».
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Pour nous en convaincre, il passe en revue des domaines emblématiques de notre temps tels que le design, l’architecture, le luxe, la chirurgie esthétique, la recherche de l’exotique, la promotion du bio, les nouvelles morales édifiantes, les belles personnes, etc. À chaque fois, il retrouve la trace des « esthétiqueurs », avec leur manie de tout enjoliver, de tout rendre commercial, touristique, festif et superficiel. L’omniprésente obligation de positivité aplatit tout : « La douleur et la détresse doivent se faire discrètes. La mort, surtout la mort, doit disparaître. » Il ajoute que « cette esthétisation généralisée, hyper-esthétique, agit en retour sur l’appréhension de la réalité qui devient réalité esthétique. Celle-ci prend le pas sur le réel ou plutôt le recouvre. » L’Homo aestheticus d’Yves Michaud est très proche de l’Homo festivus de Philippe Muray et cela n’est guère propice à un art digne de ce nom.
La perte d’un rôle significatif dans la culture
Yves Michaud va plus loin. En philosophe, il montre que cette « hyper-esthétisation » ne relève pas de circonstances momentanées. Au contraire, elle est le fruit, selon lui, d’une longue évolution depuis le xviiie siècle. Il se livre à une histoire des idées et des mentalités très fouillée. Ce qui en ressort n’est pas très éloigné de la thèse de Hegel : la fin de l’art correspond à un stade où l’art ne participe plus à l’interprétation du monde, à la manifestation de la vérité ou à l’expression sensible d’une vérité, appelons ça comme on voudra. « La fin de l’art, précise Yves Michaud, c’est donc la fin de l’identité de la beauté et de la vérité. » L’art est devenu une activité autonome, respectable dans son petit domaine, comme l’ikebana ou la cuisine au wok. S’ensuit un déclassement bien compréhensible.
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L’art hors sujet
Force est de reconnaître qu’Yves Michaud met en lumière un point important du malaise actuel de l’art, qui est que l’art a perdu toute velléité d’exprimer quoi que ce soit concernant les petits humains que nous sommes. En un mot, il n’a pas de sujet. Pire, lorsque l’on voit des artistes se saisir d’un sujet, on le regrette aussitôt, car il s’agit immanquablement de thèmes prévisibles et exogènes, à la remorque des idées militantes dans l’air du temps. Bref, on oscille souvent entre absence de sujet et sujet dénué d’intérêt.
Cependant, toutes les branches vivantes de la culture ont, sous des formes diverses, des choses à exprimer, autrement dit, de vrais sujets et une ambition narrative. C’est le cas du cinéma, des séries, du roman, de la BD, du rap et de beaucoup d’autres domaines. La situation « gazeuse » de l’art contemporain est donc une exception préjudiciable. C’est sans doute une des raisons de son décrochage, hors des fameuses « ZEP ». L’essai d’Yves Michaud est une contribution majeure aux réflexions à mener sur l’avenir de l’art.
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