Comment les échanges transatlantiques entre architectes et décorateurs ont façonné l’art de vivre de l’Upper Class américaine.
Je ne me lasse pas du style Art déco. C’est la preuve de mon immobilisme réactionnaire et de mon goût pour l’ordre, critiqueront certains esthètes pointus. L’Art déco, c’est d’un commun, d’un banal, digne d’un esprit obtus particulièrement rétrograde, trop vu, trop copié, trop figé, trop facile, trop clair, trop convenu, trop fluide, trop linéaire, trop acajou, trop smart, trop classique, trop désirable peut-être aussi ? Les touristes Américains dans la capitale en raffolent, c’est dire s’il est dévalué dans les cénacles déconstruits et les galeristes dans le vent. Je me souviens qu’en 2013, la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, tout là-haut, perchée au Palais de Chaillot avait déjà consacré une exposition intitulée 1925. Quand l’Art déco séduit le monde.
Audaces stylistiques
Elle récidive cet automne (jusqu’au 6 mars 2023) en refaisant le match France/Amérique du Nord. Qui a influencé qui ? Les buildings, les façades et les meubles sont-ils « made in Brooklyn » ou « made in Pantin » ? Cette rétrospective fait le pont entre l’école des Beaux-Arts de Paris qui, dès la fin du XIXème siècle, a formé nombre d’architectes américains et canadiens et l’élévation d’immeubles aux lignes épurées dans toutes les grandes villes des Etats-Unis. Ce va-et-vient transatlantique fut accentué par ce que les organisateurs appellent « le ciment amical de la Grande Guerre ». Il fut un temps où la « French Touch » était étudiée, appréciée, disséquée et propagée dans les terres du Nouveau Monde. La France était le berceau de toutes les audaces stylistiques, elle faisait corps avec la modernité de son époque, elle acceptait la vitesse et le progrès scientifique, s’inspirait de la gestuelle sportive et de l’élégance des aéroplanes, de l’automobile racée et des paquebots-palaces, tout en ne sabordant pas son héritage académique. Cette leçon d’équilibre pourrait encore aujourd’hui nous servir dans de nombreux domaines.
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Les milliardaires new-yorkais s’arrachaient alors les services de nos muralistes, ensembliers, décorateurs, designers, affichistes, joaillers ou ébénistes pour briller en société. Hollywood et les grands magasins leur ouvraient les portes. La Cité de l’Architecture revient sur quelques temps forts de cette amitié esthétique comme la création en 1919 de l’American Training Center, une école d’art située à Meudon où des sammies, dans l’attente de leur rapatriement, avaient la possibilité de se former en seulement quelques mois « très intenses » aux proportions idéales. Ils furent près de 400 à visiter les ateliers de Kees Van Dongen ou d’Antoine Bourdelle. De retour au pays, leur œil avait un air de « Paris, reine du monde » comme le chantait Maurice Chevalier.
Entre les palmiers et la plage
Dans cette même dynamique, quelques années plus tard, l’École des beaux-arts de Fontainebleau accueillit, chaque été, 70 étudiants américains qui avaient comme professeur d’architecture, le célèbre Jacques Carlu. Avant que la crise de 1929 ne referme cette parenthèse enchantée, des traces de France ont essaimé un peu partout en Amérique du Nord et la « patte US » est toujours visible au Trocadéro. Le Palais de Chaillot n’a-t-il pas un cousinage avec Washington D.C. ? Et que dire des salons de l’Ambassade du Mexique, temple de l’Art déco du XVIème arrondissement avec leurs imposantes toiles du peintre Angel Zárraga. Pour moi, c’est l’une des plus belles expositions du moment par la richesse des œuvres présentées et leur mise en scène. Le visiteur est poussé par un souffle Art déco dans des environnements très différents ; il se retrouve au milieu des gratte-ciels, dans un navire luxueux, à la vitrine de Macy’s & Co ou dans le décor « Tropical déco » d’une villa de Miami Beach. L’affiche de l’événement est en soi un appel au voyage, elle montre une locomotive bicolore « Atlantic Coast Line » à l’aérodynamique sensuelle, traçant sa route entre les palmiers et la plage.
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Comment ne pas s’incliner devant la commode à vantaux en ébène de Macassar et incrustation d’ivoire signée par le maître Jacques-Émile Ruhlmann, mais aussi tous les objets plus tardifs, de la période « Streamline », qu’il s’agisse d’un aspirateur Hoover de 1934 aussi beau qu’une sculpture antique ou d’un four à pomme de terre en aluminium qui ressemble à une fusée interstellaire. J’aurais voulu repartir avec ce juke-box de table en acier chromé ou avec la photographie d’une caravane Airstream Liner tractée par le cycliste Alfred Letourneur. Montez à Chaillot voir ce que l’Amérique et la France ont produit de plus beau !
Art déco France/Amérique du Nord, Cité de l’Architecture et du Patrimoine. Jusqu’au 6 mars 2023.