Malfaisance qui ne s’assigne aucun frein, indignation continue : notre chroniqueur demande grâce.
Le monde, depuis quelques jours, ne nous laisse pas respirer une seconde. Nous demandons grâce. La barbarie commise par le Hamas en Israël, les bombardements, en riposte légitime sur la bande de Gaza par les forces israéliennes avec malheureusement des civils tués, l’intervention imminente de Tsahal dans le nord avec injonction, pour les Gazaouis, de se rendre dans l’urgence vers le sud à supposer que la destination ne soit pas une impasse, des combats terrifiants à venir, l’indignation absolue à l’égard des horreurs commises par le Hamas dans la matinée du 7 octobre, au fil du temps s’imprégnant de pitié pour des Palestiniens victimes de ce bras armé terroriste prétendant massacrer et vouloir la destruction d’Israël en leur nom… Les morts, les personnes enlevées de toutes nationalités, les otages voués à devenir des boucliers… On aurait pu espérer un peu de repos dans le rythme infernal de la malfaisance, qu’elle soit internationale ou nationale. Il n’aurait pas été naïf de supposer que les actes et les propos antisémites allaient sinon baisser en France, au moins se stabiliser, qu’ils ne seraient pas nourris dans leur haine par une réalité proche qui aurait dû d’abord appeler deuil, retenue et conscience. C’est l’inverse qui s’est produit, ce qui démontre une fois de plus la pertinence de cet axiome : le Mal est contagieux, il ne donne pas envie du Bien.
À lire aussi, Céline Pina: Dominique Bernard n’aurait pas dû mourir
Le 13 octobre, un jeune homme de 20 ans, de nationalité russe, Mohammed Mogouchkov, assassinait à Arras un professeur aimé et respecté, tentait d’assassiner un autre enseignant – en état grave – et un agent de service, en criant Allah Akbar. Fiché S, il faisait l’objet d’une surveillance qui, dans les limites imposées par la loi, avait été correctement assurée. Contrôlé le 12 octobre, aucune infraction ne pouvant être retenue à son encontre, il avait été laissé libre. Arrivé en France, avec sa famille, alors qu’il avait moins de treize ans, il ne pouvait être expulsé. D’autres tentatives, dans d’autres établissements, ont été déjouées. Un double constat qui fait peur. Même quand les processus de sauvegarde n’ont pas connu de ratés, les tragédies peuvent survenir. Surtout, la malfaisance est illimitée, inventive pour le pire, elle ne s’assigne aucun frein, elle glisse forcément entre les mailles du filet qui ne peut être durablement protecteur, elle sévit à tout moment, elle n’a besoin que de son poison meurtrier et de sa cruauté inhumaine. Face à elle, nous avons une civilisation, un État de droit, dont la définition la plus sensée est de décréter que nos démocraties ne peuvent pas précisément TOUT se permettre, qu’elles sont, elles, limitées, entravées, vouées à réagir, jamais à anticiper. Le soupçon, aussi plausible qu’il soit, n’autorise rien : il faut attendre le désastre pour compter les morts et les blessés. Le comble est que la suprême habileté des futurs tueurs est de faire disparaître tout signe de préparation avant, de sorte que cette absence pourrait même devenir paradoxalement la preuve de la malfaisance à venir… Face à cette actualité qui de tous côtés est étouffante à force d’imposer une indignation continue, on ne peut pas soutenir que le président de la République, le ministre de l’Intérieur et le ministre de l’Éducation nationale ne font rien : le premier a bien parlé, le deuxième se multiplie et agit, le dernier ouvre avec vigueur tant de chantiers, urgents ou à plus long terme, que le délai jusqu’en 2027 sera sans doute un peu court. Avons-nous le droit d’être tout de même légers malgré cette chape d’horreur et notre volonté de démontrer que nous ne sommes pas impuissants ? Une grande partie de la France, sportive ou non, attend le match du 15 octobre entre l’Afrique du Sud et notre formidable XV de rugby, avec Antoine Dupont casqué, paraît-il en pleine forme et sans la moindre crainte. Nous pouvons, moi le premier, nous sentir un peu décalés par rapport à l’essentiel dramatique qui ne nous laisse pas un moment pour la décontraction et l’admiration gratuite. Il ne faudra pas avoir honte de cette légèreté : miracle, accalmie, oasis, bonheur, douceur dans la fureur de la vie, instant de grâce demandé au bourreau qu’est trop souvent le réel ces derniers temps. Le 16 octobre, comment sera le monde ?
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !