Mogok, son premier roman, s’inscrit dans la tradition de Jean-Patrick Manchette.
Enfin, un roman noir français qui renoue avec les archétypes du roman noir. Urbain, violent, en phase avec son temps : nos chères années 2020. Enfin un roman qui ne mime pas les Américains du « rural noir » avec des personnages qui confondent l’Auvergne et le Kentucky. Dans Mogok, Arnaud Salaün met en scène un tueur professionnel, un Serbe solitaire qui vit du côté de Clignancourt et traine sa quarantaine dans des bars où des artistes branchés ont remplacé les prolos il y a belle lurette. Il s’appelle Bandian, il a fui Belgrade il y a quinze ans, il est passé par la Légion étrangère et puis s’est mis à son compte.
Friches urbaines et drogues de synthèse
Comme il n’a pas de préjugés, il supporte assez bien la compagnie d’une jeunesse qui pratique le street art, les rave en plein jour dans les friches urbaines et l’ingestion de toutes les drogues de synthèse existant sur le marché. Et comme il est plein de bonne volonté et qu’il a envie de plaire, il se met lui-même à l’art contemporain et fabrique des tortues avec des imprimantes 3D qu’il recouvre de poils de veste.
Le problème des tueurs, ce sont toujours les mêmes. Ils acceptent des commandes dangereuses et ils tombent amoureux. Pour la commande dangereuse, il s’agira d’Herman, marchand d’armes paranoïaque qui vit reclus. Pour l’histoire d’amour, c’est Ailis, une jeune photographe qui l’emmène en visite guidée dans les squats pour voir des performances et danser sur de la techno.
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On pariera sans trop de risque qu’Arnaud Salaün a lu Manchette. On a connu de plus mauvais maîtres. Son Bandian fait penser au Martin Terrier de La Position du tireur couché et son Herman à l’ancien responsable de la police politique d’Haïti réfugié en France dans Le Petit bleu de la Côte Ouest. La différence est bien sûr liée à l’époque. Aujourd’hui, il y a les SMS, Google, les start-up et des désordres géopolitiques qui n’étaient pas ceux des années 70. Mais Salaün a la même manière distanciée, dépourvue de jugement à part une discrète ironie et un humour noir qui se faufile dans les sous-entendus, de traiter les temps qui sont les nôtres.
Quelque part en Birmanie
On verra par exemple le bras droit d’Herman, Mortier, archétype du cadre dirigeant, aller vendre six drones équipés de mitrailleuses à un milliardaire texan qui veut s’en servir pour surveiller son ranch à la frontière mexicaine. La scène du massacre des vaches, en attendant celui des migrants, pour tester les machines de morts, vaut à elle seule la lecture du roman et prouve que Salaün maitrise de surcroit ce qu’il y a de plus difficile dans un roman noir : la représentation de la violence. On est dans Mogok, si l’on s’en fie aux références de l’auteur, quelque part entre Cannibal Holocaust et Georges Bataille, entre le film gore et la littérature envisagée comme une exploration des limites.
Bandian, comme tous les tueurs professionnels, finit bien entendu par être la cible de ses commanditaires et il faudra au lecteur aller quelque part en Birmanie pour voir comment s’accomplit un destin dérisoire autant qu’héroïque et finalement poignant.
Trouver son style
Aussi à l’aise dans la tuerie exotique que dans l’underground parisien, Arnaud Salaün a d’emblée trouvé son style, ce qui permettra pour la suite de le distinguer sans mal dans le tout-venant pléthorique de la littérature de genre.
Mogok d’Arnaud Salaün (Seuil, « Cadre Noir »)
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